Le sursaut

Avril 2008

 

C’est une étrange correspondance. Quatre personnages solitaires même lorsqu’ils sont entourés et qui, tous, poursuivent un rêve de vie meilleure. Leur quête est chaotique, ils ne savent pas eux-mêmes ce qu’ils désirent et, tous, prennent un chemin qui mène à une impasse, une vie brisée, une misère sociale, la perte de toutes leurs certitudes, le deuil de leurs espoirs. Tous ont un sursaut final, un éclair de lucidité qui les humanise et les perd en même temps.
Madame Wang, dans "les larmes de Madame Wang", devenue pleureuse professionnelle après des années de petite misère, pleure (en réalité, chante) sans verser une larme lors de funérailles dont elle ne partage pas la douleur, odieuse lorsqu’elle négocie par centaines de yuans chacune de ses interventions.
Et puis, lorsqu’elle apprend la mort d’un être dont elle se croyait détachée, les larmes coulent. Et enfin, son chant funèbre prend corps, son émotion est énorme, elle finit par ne plus chanter, il n’y a plus que des hoquets, une intense douleur. Alors, les invités des funérailles lui font parvenir des pourboires par dizaines, si nombreux qu’elle ne peut plus les saisir, ni les voir, ses yeux sont brouillés de vraies larmes, son cœur est (enfin) en morceaux, prêt à se reconstruire, peut-être.
"Julia" s’englue dans les mensonges, ne voyant même pas ceux des autres, courant à sa perte, frôlant du bout des doigts une fortune possible qui, inexorablement, lui échappe. Elle enlève un enfant, crime abominable, réclame une rançon et au moment de la toucher, cet enfant qui n’est pas le sien se fait kidnapper par d’autres, qui jamais ne sauront si elle est la vraie mère. Dans la scène finale, d’une incroyable tension, elle doit renoncer à des centaines de milliers de dollars pour sauver l’enfant, pour renaître d’une certaine façon. Comme pour Madame Wang, Julia doit être en morceaux, complètement démunie, nue, pour reprendre vie.
Christopher, dans "Into the wild", inspiré d’un personnage réel, cherche un sens à sa vie, croyant le trouver dans une quête éperdue d’un retour à la nature pur et dur, en ignorant tous ceux qui, autour de lui, sont prêts à l’aider, à lui offrir une amitié, une partie de leur cœur. En s’enfonçant dans un tel dédain des contacts humains, il se condamne et lorsqu’il comprend enfin que le bonheur ne peut être que partagé, il est trop tard. Mais là aussi, le sursaut clôt le film, donnant au personnage une part d’humanité.

Le parcours d’Angie dans "It’s a free world" n’est pas très différent. On assiste à la dérive morale d’une femme qui applique peu à peu tous les principes honteux du libéralisme qu’elle croyait pouvoir éviter. Le revirement final du personnage est, sous un abord moins dramatique, bien plus cruel et plus cynique que pour les trois autres, car il montre que pour survivre et trouver la paix, il faut rentrer dans le moule, accepter toutes les règles.


Ces quatre personnages, issus de trois continents différents, ont en commun une prise de conscience de l’absurdité du monde et de la façon dont il tourne. Ils nous touchent car ce ne sont pas des héros comme on n’en voit qu’au cinéma, ce ne sont pas des Indiana Jones, des Jason Bourne, ni même des Amélie Poulain ou des Bridget Jones. Ce sont juste des gens ordinaires, ce pourrait être nous, empêtrés dans des vies pas tout à fait rêvées, en attente d’un sursaut.