Bien sûr,
la référence au "Gloria" de Cassavetes est un
peu écrasante, mais Zonca s’en sort remarquablement, avec
ses propres atouts : un sens du rythme hypnotisant, une montée
en tension d’une grande puissance, un refus du politiquement correct.
La vision d’une femme terrorisant un enfant en lui pointant un
pistolet sur la tête, est particulièrement marquante :
cette femme est l’héroïne du film, toute l’histoire
n’étant montrée que de son seul point de vue, et
il n’y a pas de jugement de la part du réalisateur, il
la montre avec son déséquilibre, son énorme désarroi,
sa déchéance mais aussi avec sa splendeur. Il la décrit
comme une femme que l’on pourrait comprendre, accompagner, aimer
malgré tout. Ce qu’elle fait est parfois monstrueux, mais
elle n’est pas un monstre. Elle s’enfonce dans le mensonge,
et finit probablement par ne plus cerner la réalité des
événements et de leurs conséquences. Zonca filme
cette fuite en avant (mais jamais en ligne droite, toute en hésitations,
retours, virages brusques) comme un voyage initiatique à l’envers,
une plongée destructrice sans espoir (ou presque, la dernière
image laissant le spectateur en plein doute).
Ce qu’il y a de formidable dans ce cinéma-là, c’est
qu’à tout moment, on ne sait pas ce qui va se passer, au
contraire de la grande majorité des films de notre époque.
Julia est imprévisible, on sent qu’aucune concession n’est
faite pour adoucir le propos, tout peut donc arriver, y compris le pire,
mais pas forcément… En ce sens, le scénario est
admirablement bien construit, chaque nouveau mensonge offrant une nouvelle
possibilité de fuite, jusqu’à l’infini.
Il fallait une énorme performance d’actrice pour incarner
un tel personnage, Tilda Swinton est effectivement gigantesque. Pas
au sens américain du concept de performance, il n’y a aucun
pathos, elle ne joue jamais pour provoquer les larmes, elle EST Julia,
simplement. Toute autre actrice aurait donné naissance à
un autre film. On ne connaîtra jamais en profondeur les parts
respectives du réalisateur et de la comédienne dans la
création du personnage, mais il paraît évident que
l’implication de Tilda Swinton est capitale dans la radicalité
de l’entreprise.
Son omniprésence est bien sûr l’atout principal du
film, mais aussi sa limite : l’actrice et son propre personnage
écrasent tous les autres, à commencer par l’enfant,
qui ne parvient pas à exister, qui n’impose pas son caractère,
ce qui le rend un peu théorique : c’est un enfant, un point
c’est tout. Il n’est pas certain, au vu de ses quelques
répliques, que telle était la volonté du réalisateur.
De même, les Mexicains sont plutôt des caricatures, montrés
comme des éléments de l’environnement du parcours
de Julia, pas vraiment des personnages, eux aussi théoriques.
Il reste tout de même, malgré ces réserves, que
ce film est un magistral coup de poing dans l’estomac, et que
le cinéma, en dépit du confort des fauteuils, est aussi
fait pour cela.