Après La
loi du marché, et En
guerre, voici un autre opus du tandem Brizé Lindon,
sur le thème, pour le dire vite, du monde du travail. Lindon,
après avoir revêtu les habits d'un vigile puis d'un
syndicaliste, enfile le costume d'un cadre dirigeant d'une multinationale.
Totalement impliqué et crédible, il impose son personnage
avec une subtilité inouïe, comparable à celle
d'Olivier Gourmet dans Ceux
qui travaillent. Son interprétation fait beaucoup
pour la réussite du film, mais pas seulement. Stéphane
Brizé, à force de creuser le sujet des conditions
de travail qui brisent des vies, affine, épure, éclaire
sa mise en scène pour livrer une oeuvre d'orfèvre.
C'est concis (à peine plus d'une heure trente) et pourtant
le récit est formidablement précis, rythmé,
prenant : de nombreuses scènes s'achèvent avant leur
dénouement et les décisions qui en découlent,
ce qui crée toujours un suspense, une tension dès
le début de la scène suivante. Le message de Brizé
et de son scénariste est connu, les actionnaires ne sont
jamais montrés mais il est clair que ces derniers ainsi que
l'organisation du marché capitaliste sont désignés
comme coupables de la plupart des maux de notre société
occidentale. Peut-être ce message ne parlera qu'à ceux
qui en sont déjà convaincus (j'en suis), mais la force
avec laquelle il est asséné, répété,
mis en lumière, pourra sans doute en faire basculer quelques
autres. Le scénario ne réserve pas beaucoup de surprises,
c'est l'histoire implacable de quelques personnes avides d'argent
et de pouvoir dont les exigences intenables sont répercutées
d'exécutant en exécutant, jusqu'à ce que le
système ne soit plus qu'une machine infernale qui produit
plus de mensonges et de dépression que de croissance…
cette satanée croissance qu'il faudra bien un jour inverser
pour que le monde guérisse de sa plus grave maladie, l'Humanité.
On en sort défait, plombé, irrémédiablement
pessimiste ? Eh bien non. Brizé, avec l'aide d'un Lindon
énorme, lâche un grain de sable dans la machine à
broyer, un grain de sable qui fait du bien. La résistance
est possible, elle implique quelques sacrifices, des renoncements.
Le personnage de Lindon dans ce film a la possibilité de
ce renoncement, de cette résistance. Il ne l'avait pas dans
En guerre. Et les fins de ces deux films, si différentes
l'une de l'autre, en disent beaucoup sur l'analyse que fait Brizé
du monde insensé dans lequel on vit.