C'est pas gai. Le personnage
principal a beau être la fille d'un couple de nobles ayant
une flopée de propriétés, le parcours de cette
femme ressemble à un calvaire. Sa jeunesse, une éducation
stricte dans une institution religieuse. Son mariage avec un coureur
de jupons, une succession de désillusions. Sa vie de mère,
un aveuglement face à un garçon qui ne sait que dilapider
la fortune familiale. Mais tout cela, les lecteurs de Maupassant
le savent avant de visionner le film. Et comme Stéphane Brizé
reste très fidèle au récit de l'écrivain,
en éludant les moments clés pour s'attacher au quotidien,
il n'y a pas de surprises. Voir Une vie, c'est s'imposer
deux heures d'une étrange léthargie traversée
d'éclairs de violences verbales. Même s'il y a des
passages qui ressemblent à des parenthèses de bonheur,
la mélancolie est constante, dans les regards perdus, dans
les attitudes de défaites, dans l'accumulation des déceptions.
Judith Chemla porte tout cela, avec sa fragilité apparente,
aussi crédible en toute jeune femme pleine d'espoirs qu'en
grand-mère épuisée par la tristesse. On en
sort un peu abattu, la vie n'est quand même pas si rose de
nos jours pour avoir à subir toute cette grisaille d'autrefois.
Le choix du format (presque un carré) est étouffant,
les ambiances sont désespérées et même
le couple formé par Darroussin et Yolande Moreau n'arrache
pas un seul sourire. Et puis les images, les mots, les sentiments
font leur chemin, les films de Brizé sèment quelque
chose dans la mémoire, tous ces personnages qui portent leur
vie comme un fardeau (avant Judith Chemla, Florence Vignon dans
Le bleu des villes, Chesnais dans Je
ne suis pas là pour être aimé, Lindon
dans Quelques
heures de printemps ou dans La
loi du marché) nous touchent, nous emportent parce qu'ils
possèdent quelque chose d'universel, un mal de vivre parfois
difficile à supporter, mais cette absence de légèreté
ne les empêche pas de continuer à se lever le matin,
à se raccrocher à des petits riens, des petits morceaux
de lumière.