On peut penser ce qu’on veut
du livre de McCarthy, chef d’œuvre sombre et désespéré
ou vaste fumisterie reposant sur du vent, il n’empêche
qu’il a le pouvoir de générer des images dans
l’esprit du lecteur. Le gris domine, le silence aussi. Les quelques
dialogues entre le père et l’enfant, sans ponctuation
dans le livre, paraissent parfois chuchotés, on peut même
imaginer que tout ce qu’ils se disent passe dans les seuls regards.
Les quelques flash-back du roman n’apportent pratiquement pas
de respirations dans le récit, tant ils sont courts, et le
plus souvent douloureux.
Les spectateurs du film viennent avec leurs propres images forgées
à la lecture du livre, ou bien vierges et prêts à
recevoir de plein fouet ce récit post-apocalyptique, qui sonne
comme un anti 2012. Pas ou
très peu d’effets spéciaux, aucune explication
donnée pour éclaircir le mystère de la situation
de la Terre, plantes et animaux morts, humains survivants sans autres
moyens de subsistance que la récupération de vieilles
boîtes de conserve… et surtout une absence totale de réorganisation
sociale qui répondrait à des principes moraux.
Le livre pouvait fasciner, par ce refus de se soumettre aux principes
fondamentaux de toute œuvre d’anticipation traitant d’une
ère post-catastrophe planétaire : pas d’espoir,
pas de renaissance attendue, pas de remise à plat, juste la
survie dans un monde hostile, dangereux de par ses conditions climatiques
et plus encore de par le contact avec d’autres survivants. Le
film est dans l’ensemble fidèle au récit, aux
divers évènements, les deux personnages correspondent
à ce qu’on aura pu imaginer. Le décor, gris, humide,
blafard, baigné d’une lumière à la limite
du noir et blanc, semble tout à fait à la hauteur.
Qu’est-ce qui vient alors tempérer ces qualités,
et rendre l’ensemble légèrement fade, moins sombre
que le livre, assez confortable au final ?
La musique, même plutôt pas mal, et signée Nick
Cave et Warren Ellis (oui, ceux-là même qui avaient fabriqué
l’admirable bande son du film "l’assassinat de Jesse
James par le lâche Robert Ford") apporte de la douceur
aux images qui prennent un aspect assez décoratif. Le silence
absolu aurait sans doute été plus efficace pour se plonger
totalement dans l’ambiance. Et puis il y a peut-être un
peu trop de sourires, on ne ressent pas suffisamment la faim des deux
personnages, le froid, la douleur physique.
Au fond, le sujet principal du film est finalement assez moral, pour
ne pas dire moralisateur : qu’est-ce que notre humanité
? que restera-t-il de nos principes humains lorsque toute organisation
sociale sera effacée ?
Le livre avait le mérite de laisser au lecteur le choix des
questions qu’il pouvait se poser, le film les impose, dans une
ambiance édulcorée, non pas par les faits (pas ou très
peu de changements dans le récit), mais par la crainte de faire
fuir le public…
On pense au premier film de Besson, d’assez loin son meilleur,
"le dernier combat", qui avait l’immense qualité
de laisser subsister beaucoup de zones d’ombre, contrairement
à "la route", trop éclairante en fin de compte.
Le
texte de Marie A., lectrice éclairée...