Attention, présentez-vous
dans le cinéma avec le cœur bien accroché, pas
trop près de l'écran, bien accompagné, vous
partez sur les routes pendant deux heures et demie, et ça
déménage ! L'amour la mort la vie, tout y passe, à
commencer par ce couple improbable, elle est enceinte et rayonne,
dotée d'une force de vie incroyable, lui est déprimé,
provocateur au dernier degré, ne respecte rien de ce qui
est inscrit dans le marbre de la bienséance. Léa Fehner,
après un premier film magnifique et taillé au cordeau
"Qu'un seul tienne
et les autres suivront", a fabriqué un récit
fleuve qu'elle a accepté de ne pas toujours maîtriser,
laissant la part belle à ses interprètes, parmi lesquels
ses propres parents, à qui elle demande des choses énormes.
Tout n'est pas forcément réussi du début à
la fin, mais il y a une impression de tourbillon incessant, une
vraie troupe de comédiens, de bateleurs, de saltimbanques,
un peu fous, un peu sages, d'une générosité
absolue et capables des plus belles horreurs les uns envers les
autres. Des personnes comme celles que l'on voit à l'écran,
de tels personnages, vous n'en rencontrerez probablement pas beaucoup
dans votre vie, mais cela ne les empêche pas de parler de
la vie que tout le monde mène, les naissances, les maladies,
les amours, les trahisons, les lâchetés, les mots qui
font mal, les mots qui réparent, les mots qui ne sortent
pas, les moments d'allégresse, les moments de grâce
comme les instants de malaise les plus terrorisants.
C'est un film monstre, au titre tout à fait bien choisi,
qui dévore autant qu'il remplit le cœur… On pense
au "Molière" de Mnouchkine, alors qu'il ne s'agit
pas du tout de la même époque, on pense à Kechiche
au détour d'un repas de couscous et pour l'énergie
déployée, on pense au film d'Inarritu "Birdman"
pour le théâtre et parce que ça ne s'arrête
jamais. Et puis on arrête de penser, on ressent, on vit les
instants, on est marqué pour longtemps, c'est une œuvre
de Léa Fehner, et ça y est en deux films c'est une
cinéaste, une vraie, une pure artiste. On en sort la gorge
nouée, la dernière chanson dans la tête (Une
femme à sa fenêtre…), des rêves d'une autre
vie, l'envie de se noyer dans les yeux d'Adèle Haenel ou
de prendre la route un matin, vers le sud, avec la promesse de rires
et de pleurs qui vous tiendront jusqu'au soir et bien plus encore.