Ce n’est absolument pas le
genre de film que l’on va voir entre copains un samedi soir
avant une partie de rigolade dans un café à boire bière
sur bière. Ce n’est pas.
C’est le type de film programmé dans les salles art et
essai de province, et pas à n’importe quelle heure…
on y va peut-être parce qu’il n’y a rien d’autre,
parce que l’orgie de films pour enfants en cette période
de Noël, dégoulinants de bons sentiments, rend malade
avant l’heure… et on en sort le cœur serré,
l’esprit chamboulé par ce tourbillon d’histoires
et de sentiments, avec l’impression d’avoir vu le premier
film d’une future grande du cinéma. Elle s’appelle
Léa Fehner. Elle est la scénariste, et la réalisatrice
; à vingt-huit ans elle impressionne...
Son récit est construit comme du Bach, comme une succession
de formules mathématiques, taillé au cordeau, d’une
splendide complexité et pourtant parfaitement clair, ne se
perdant jamais en cours de route. Ses trois histoires complètement
dissociées, dont on a l’impression qu’elles se
déroulent en parallèle alors qu’elles forment
un faisceau convergent implacable, pourraient être un carcan
pour le film, brider la mise en scène, l’étouffer.
Bien sûr, il n’en est rien ; à l’intérieur
de ce cadre rigide mais intensément riche, foisonnant, la réalisatrice
ne se contente pas d’une mise en images plate et discrète.
Elle parvient à créer des contrastes, des échappées,
des petites légèretés dans un ensemble plutôt
lourd, profond, puissant. Elle porte en elle une science des cadres,
du temps pour installer une scène, de la lumière nécessaire
pour illuminer une rencontre sans la dénaturer. Elle sait rendre
beaux des visages ingrats ; les corps, les démarches, les postures…
tout est porteur de sens dans sa façon de traquer ses acteurs.
Ce n’est pas à proprement dit un film choral, puisque
les personnages ne se rencontrent pas, ou si peu, mais l’ambition
du film semble de cet ordre, et le résultat est à la
hauteur, dépassant son contexte, montrant plus que la position
de ceux qui vont dans les prisons pour voir leurs proches. Il parle
de l’amour, de la vie, de la mort ; il atteint tout un chacun
parce que ceux que Léa Fehner a choisis de décrire sont
tout à fait crédibles, ils ressemblent à tout
le monde malgré leurs gueules de cinéma… oui c’est
un beau film, sans failles et qui pourtant parle des fêlures.
Oui c’est un beau film, qui reste en mémoire, qui vous
hante, qui vous transperce.