La filmographie de François
Ozon, c'est un peu la déception permanente : à chaque
nouveau film, tout est attirant, le thème, les personnages,
les acteurs, et puis la sauce ne prend pas, de l'essai horriblement
kitch de "Potiche"
à la légèreté affligeante de "Jeune
et jolie".
Cette nouvelle amie, a priori, ne déroge pas à la
règle, la bande annonce est à la fois attirante et
désespérante (on a tous compris que Duris se travestit…
où est le suspense ?), le scénario est une adaptation
de Ruth Rendell qui ne trempe pas sa plume dans l'inconsistance,
et il y a Anaïs Demoustier qui sous ses allures d'innocente
sans densité, révèle souvent les profondeurs
de ses personnages.
Le début du film peut faire fuir, présentant l'enfance
de deux petites filles, puis leur adolescence, jusqu'à leurs
mariages respectifs… couleurs criardes, raccourcis très
explicatifs, ambiance irréelle, c'est le pire de ce que sait
faire Ozon, aucun mystère, sous entendus absents ou bien
tellement énormes qu'ils en sont ridicules. Passé
cette entrée en matière épouvantable mais sans
doute nécessaire, le récit commence enfin, et l'on
peut mettre un certain temps à se débarrasser de cette
mauvaise impression initiale.
Une certaine irréalité demeure, dans les lieux, les
décors… deux maisons gigantesques tout droit sorties
d'espaces très résidentiels pour riches américains,
mais avec, à proximité, des zones commerciales et
des tours de bureaux tout à fait françaises, jusque
dans leur triste banalité. Les rapports entre les personnages
ont également cette dualité : un couple décrit
à grand renfort de clichés et d'éléments
attendus, et la naissance d'une amitié (?) complètement
étrange, surprenante, almodovarienne… La comparaison
avec le réalisateur espagnol est inévitable, certains
diront qu'elle est au désavantage d'Ozon.
Le suspense ne réside pas dans l'identité de celui
qui se travestit, cela est montré très vite, tout
de suite, mais dans ce qui vient ensuite. Les relations entre les
personnages emportent le récit vers quelque chose d'inattendu
dans une œuvre d'Ozon : l'émotion. Malgré l'ambiance
sociale qui reste très peu crédible, malgré
les quelques nouveaux lieux (l'hôpital, un hôtel…)
qui semblent sortis de la pire série télé française,
malgré le jeu de Duris qui hésite entre réserve
et outrance sans jamais vraiment choisir, le film prend, étreint,
multiplie les fausses pistes, pose des questions, émoustille,
amuse cruellement, ose la douceur. Il a, aussi, un atout formidable
: Anaïs Demoustier donne à son personnage énormément
de richesse, le fait évoluer et, malgré l'énormité
de celui joué par Duris, elle devient finalement celle par
qui les choses arrivent, et pour qui les spectateurs s'étonnent,
tremblent, s'émeuvent… Malgré le sujet, le sentiment
qu'Almodovar aurait pu faire un autre film avec le même scénario
s'éloigne, c'est bien un film d'Ozon, avec son goût
de l'étrange et de la crudité. Et cette fois-ci, pas
de déception…