Drôle d'objet…
Ce qui est sûr, c'est que Valérie Donzelli ne fait pas
du cinéma comme tout le monde. Dans "la
reine des pommes", elle faisait jouer au même acteur
quatre personnages différents… dans "la
guerre est déclarée", la maladie d'un enfant
était au cœur d'une explosion de gaieté, de joie
de vivre… ici, deux personnages se retrouvent comme aimantés
l'un à l'autre, les gestes de l'un calqués sur l'autre,
la séparation physique impossible : c'est totalement abracadabrant,
on ne peut y croire, et pourtant cet attachement au sens propre du
terme permet de raconter avec un incroyable décalage toutes
sortes de choses sur le couple. Une nouvelle fois, on ne sort pas
du film exactement comme on y est entré.
Bien sûr, ce fil invisible, il faut l'accepter et cette fois-ci,
la mise en scène, peut-être un peu moins inventive, a
parfois du mal à faire passer l'inimaginable, le trop plein
de bizarreries. Il y a quelque chose de pesant dans cette irréalité,
qu'on ne trouvait pas, par exemple, dans l'excellent "Camille
redouble" : le personnage de Camille revenait dans le passé
sans changer d'apparence physique et personne ne s'en rendait compte,
tout était énorme et pourtant tout passait. Ici, les
personnages secondaires réagissent au couple des attachés
et cela finit par alourdir le propos alors qu'on sent bien que ce
qui intéresse la réalisatrice (et le spectateur), c'est
tout ce qui se dit sur le couple et les relations fusionnelles. Il
est troublant évidemment de savoir que Valérie Donzelli
et Jérémie Elkaïm sont séparés mais
que visiblement ils ne peuvent pas se passer l'un de l'autre et que
par beaucoup d'aspects, leur histoire a inspiré le film…
Est-ce de l'impudeur ? Ou bien la preuve qu'on ne peut faire œuvre
que sur un matériau que l'on connaît parfaitement bien
? (ceci est discutable, ni complètement faux, ni assurément
vrai)
Certaines scènes, jusque dans leur étrangeté,
sonnent parfaitement justes, et ce sont souvent celles qui sont un
peu en lisière du sujet principal, du fil conducteur (fil réducteur
?), comme ce que murmure Béatrice de Staël à Jérémie
Elkaïm à propos d'un ménage à trois observé
dans l'appartement d'en face, le "trouple", ou bien l'idée
formidable de reprendre la chorégraphie de Pina Bausch (The
man I love en langage des signes) pour que Jérémie Elkaïm
émeuve enfin Valérie Lemercier…
Pour que le film puisse véritablement fonctionner, peut-être
aurait-il fallu un peu plus de cette poésie qui fait écarquiller
les yeux et se dire qu'avec cette jeune réalisatrice, on n'est
jamais sûr de ce qui va arriver à la scène suivante
: que ce film-ci ne soit qu'à demi réussi n'est pas
bien grave, le prochain est attendu avec impatience et bienveillance.
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