Avec ce film au titre à
tiroirs et multiples sens, le nouveau film de Joachim Lafosse (à
perdre la raison, les
chevaliers blancs) confirme le talent de ce dernier pour exposer
les situations conflictuelles, tendues, oppressantes. La caméra
ne quitte jamais l'appartement où se jouent les scènes
qui semblent filmées dans la continuité, montrant
un couple qui se déchire autour de la question financière
du partage dû à leur séparation, question qui
semble parasiter tous les rapports, entre eux deux mais aussi avec
leurs deux enfants (jouées par deux jumelles confondantes
de naturel). Il pourrait s'agir de l'étude d'un fait de société,
à savoir les couples séparés qui sont malgré
tout obligés de rester dans le même logement pour des
raisons économiques mais le film va bien plus loin que cela,
et la question du partage, centrale en apparence, n'est peut-être
que la conséquence d'un jeu de pouvoirs et de sentiments,
du refus d'abandonner à l'autre la position de victime, de
la volonté de chacun, plus ou moins consciente, de rejeter
sur l'autre la responsabilité de la rupture. C'est formidablement
juste, parce que rien n'est montré comme une évidence,
tout est sujet à complexité, les mots, les regards,
les gestes, les réparties qui en une seconde peuvent passer
de l'humour à la violence… Les deux acteurs sont incroyables,
parvenant à faire croire à la fois au passé
tendre du couple et à l'extrême tension qui règne
désormais, ainsi qu'à la relation avec les petites
filles. Avec un dispositif de huis clos qui pourrait faire basculer
le film dans une théâtralité factice, le réalisateur
a l'intelligence de se servir de l'appartement, unique décor,
comme d'un lieu mouvant (émouvant aussi, par ce qu'il renferme),
jamais complètement fermé. Le film n'est d'ailleurs
pas seulement sombre, il porte des espoirs, des échappées…
On pense à la fois à Pialat et à Farhadi.