Victoria **

Sebastian Schipper

L'histoire

5h42. Berlin. Sortie de boîte de nuit, Victoria, espagnole fraîchement débarquée, rencontre Sonne et son groupe de potes. Emportée par la fête et l'alcool, elle décide de les suivre dans leur virée nocturne. Elle réalise soudain que la soirée est en train de sérieusement déraper…

Avec

Laia Costa, Frederick Lau, Franz Rogowski, Burak Yigit, Max Mauff

Sorti

le 1er juillet 2015


La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

Bouleversement

 

Sans doute, dans dix ou vingt ans, on trouvera cela complètement banal, un film tenant sur un plan séquence unique. Aujourd'hui, on les compte sur les doigts d'une main… et encore, pour certains, il y a quelques raccords (Birdman). Celui-ci a véritablement été tourné dans la continuité, au tout petit matin dans les rues de Berlin. Matériellement, c'est un paradoxe : le réalisateur peut se permettre de filmer pendant plus de deux heures dans la pénombre, sans s'arrêter, parce que sa caméra est numérique. Il y a trente ans, c'était impensable. Il utilise donc les progrès techniques et dans le même temps, il refuse toute méthode qui l'autoriserait à faire des pauses pendant le tournage. Avec les effets numériques, il aurait été très simple de faire des raccords invisibles… Les progrès techniques, oui…mais non.
Un des grands intérêts du film repose sur ce paradoxe, la démarche de Sebastian Schipper tient bien plus de celle de l'explorateur que du technicien. Il installe ses comédiens et toute l'équipe qui l'entoure dans une urgence, une immédiateté, une absence d'attente parfaitement inédites au cinéma (Jouvet ne disait-il pas que sur un tournage, "le plus important, c'est de trouver une chaise…", parce qu'habituellement, les uns passent leur temps à attendre que les autres soient prêts, et vice versa). On se trouverait alors face à une performance qui a plus à voir avec le théâtre qu'avec le cinéma ? Dans un certain sens, oui, et dans un autre, absolument pas. La caméra est là, et bien là. Elle insère le spectateur dans l'action, au milieu des personnages, elle bouge avec eux, se pose avec eux, au risque de donner le tournis, ou la nausée… Ce film est une véritable bombe, une nouvelle façon de faire du cinéma. Pour tous ceux qui regrettent que les réalisateurs d'aujourd'hui se contentent de reproduire le travail des anciens et n'apportent aucun bouleversement, Victoria est pour eux. On pourrait citer Gaspard Noé, Lars von Trier ou Tarkovski, mais ça n'a aucun sens. Ce qu'a fait Sebastian Schipper est unique, un point c'est tout.
Au final, le scénario n'est pas fondamentalement original et la fin est beaucoup trop longue mais l'ensemble réserve quelques moments de grâce absolue (que je me résous à m'interdire de vous dévoiler), cette grâce ne pouvant s'inscrire que dans la continuité, indissociable du reste. Et puis ces personnages qui vivent à Berlin ont quelque chose en eux qui ressemble à l'incongruité du monde, en déséquilibre, portant des douleurs et des joies mêlées, pleins d'une énergie désordonnée, faisant avancer les choses en les détruisant en même temps, les reprenant à l'état de ruines, se perdant, et faisant naître un sentiment d'amour, malgré tout… C'est désespéré, hallucinant, sombre, lumineux, enthousiasmant puis menant au bord du dégoût. On en sort un peu flottant, conscient d'avoir vu quelque chose pour la première fois. Et c'est bon, les premières fois…

 

Vos commentaires pour ce film

Bon, faut le dire, il y a un côté un peu exploratoire dans ce film. Un truc jamais fait avant : un plan-séquence de 2h14 en temps réel. En d'autres termes, Sebastian Schipper le réalisateur a filmé "non stop" pendant plus de deux heures, sans montage. Hop Hop Hop ! Et on est loin du huit clos.
L'action se déroule dans une dizaine de lieux différents.
Il s'y est repris à 3 fois me dit Allo Ciné (merci) mais quand même ... c'est assez incroyable : dans le jeu des acteurs, dans la prise de vue, dans la réalisation.
La première bonne nouvelle, c'est que cette performance n'est pas qu'une performance technique. Il se dégage un rythme, une urgence, une tension que j'ai adorés. Les effets de caméra sont en lien aux mouvements : caméra sur l'épaule, ça court, ça se repose, ça observe, ça s'inquiète, ... Le spectateur est la caméra. Il est là, dans les rues de Berlin.
La seconde bonne nouvelle, c'est que l'intrigue est intéressante, prenante.
En 2 mots (si jamais Al1 ne va pas le voir !), une jeune espagnole sort d'une boîte de nuit berlinoise à 5h42, pas complètement fraichouille. Elle rencontre 4 types et entreprend de les suivre dans une virée nocturne. La ballade tourne vinaigre. Les choses s'accélèrent ... et le film s'arrête à 7h56.
Au-delà de l'intrigue, les personnages (au moins 3 d'entre eux) sont bien décrits. Ils sont en transition, en (re)construction. Ces 2h14 de vie, les choix qu'ils font (ou pas), sont éclairés par des éléments de leur passé, par des regards, des petites choses furtives ...
Bref, j'ai vraiment bien aimé. D'abord embarqué par le rythme et l'action, puis, après, interpellé par la subtilité des sentiments.


Thierry D, le 6 juillet 2015

 

Envoyez votre commentaire