Une séparation **

Asghar Farhadi

L'histoire

Lorsque sa femme le quitte, Nader engage une aide-soignante pour s'occuper de son père malade. Il ignore alors que la jeune femme est enceinte et a accepté ce travail sans l'accord de son mari, un homme psychologiquement instable…

Avec

Leila Hatami, Peyman Moadi, Shabab Hosseini, Sareh Bayat, Sarina Farhadi, Babak Karimi

Sorti

le 8 juin 2011

La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

Âpreté virtuose

 

 

 

 

 

 

 

Asghar Farhadi trace sa route, s’affirmant comme auteur, directeur d’acteurs et metteur en scène, loin, très loin de certains faiseurs de films. On retrouve dans cette "séparation" quelques-unes des forces de son film précédent "à propos d’Elly". Les étudiants ont laissé la place à des adultes aux prises avec leurs problèmes de couples, de familles. Mais la structure du récit est semblable pour les deux films : après l’exposition des personnages, des situations de conflits potentiels, un événement d’ordre dramatique vient tendre tous les rapports humains, et dès lors, c’est un jeu de semi-mensonges et de vérités partielles, énoncés pour sauver la face, ou pour protéger l’un ou l’autre. Les personnages n’ont pas de statuts de "bon" ou de "méchant", ils sont humains, avant tout, jusque dans leurs excès.
Le titre, "une séparation", pourrait faire croire à l’analyse des raisons pour lesquelles un couple se brise. La séparation en question n’est que le point de départ d’un enchaînement de faits et d’un bouleversement des relations entre les personnages. La première scène, chez le juge, a quelque chose d’une comédie, on sent que le couple qui se déchire face à nous (le spectateur est à la place du juge, mais pas complètement, puisque ce dernier intervient, il n’est pas neutre) n’est pas complètement sincère, il y a du jeu dans leur conflit, leur séparation à venir n’est pas si bien huilée que cela… Ensuite, la tension va monter, d’une façon subtile, avec quelques coups d’accélérateur, sans aucun pathos. La caméra se faufile entre les protagonistes, n’épousant aucun point de vue, laissant au spectateur son libre-arbitre, montrant les faiblesses ou les forces de l’un, puis d’un autre, sans prendre parti… Le jeu des comédiens n’est absolument pas tape-à-l’œil mais il est hallucinant de vérité : on pense plus à des comédiens de théâtre qu’à des acteurs de cinéma, et pourtant ils sont incroyablement naturels, il y a là un formidable travail de direction d’acteurs qui n’est pas sans rappeler celui de Kechiche.
Les effets un peu "branchés" d’Elly, allant chercher du côté des tendances du cinéma américain indépendant, sont ici gommés. La mise en scène est d’une précision terriblement efficace, chaque scène a son propre rythme, sa propre respiration… on se surprend en tant que spectateur, à retenir son souffle, on pourrait presque intervenir tant les personnages sont proches…
Les émotions ne viennent pas avec des effets faciles, aucune musique n’accompagne les moments de tension les plus extrêmes, pas de scènes de transition pour se poser, le film ne s’apparente pas à un confortable fauteuil en cuir, loin de là. Il y a de l’âpreté, de la profondeur, une densité réelle donnée par la teneur du récit et non pas par un montage surexcité. En cela, la forme de l’œuvre fait penser à l’apparente sécheresse de quelques films roumains (la mort de Dante Lazarescu, 4 mois, 3 semaines, 2 jours, mardi après Noël…), par son aspect presque documentaire, par la radicalité de la mise en scène.
L’histoire est fortement marquée par les caractéristiques de la société iranienne, le poids de la religion, les relations entre les hommes et les femmes, une justice où le juge, surpuissant, passe tout de même beaucoup de temps à écouter… Ces particularités qui font que l’histoire ne pourrait pas se passer de cette façon-là ailleurs qu’en Iran, n’empêchent pas le film d’atteindre une certaine universalité, et l’on en sort avec des dizaines de questions. Jusqu’où peut-on mentir pour protéger ceux qu’on aime ? Jusqu’à quel point doit-on faire respecter ses propres convictions, au risque de détruire ? Comment nos enfants perçoivent nos faiblesses, nos arrangements avec la vérité ?
Attention, on ne sort pas indemne d’un tel film. Il peut hanter le spectateur. Asghar Farhadi est un grand, très grand réalisateur. Pourvu qu’il puisse garder cette puissance, cette intégrité… Pourvu qu’il ne se fasse jamais récupérer par l’industrie du cinéma américain…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Vos commentaires pour ce film

l'histoire est d'une force incroyable, les personnages se trouvent précipités dans un drame inextricable à cause de leurs convictions, leur religion, leurs principes, avec en filigrane la société iranienne et la situation politique du pays. Le scénario est d'une précision et d'une simplicité extrêmes, les acteurs parfaits, y compris les deux personnages quasi muets: le grand- père et la petite fille de l'employée de maison. Un film magnifique, indispensable, dans la lignée de films comme La vie des autres ou Dans ses yeux. Courez-y

Hamel, le 16 juin 2011


Je confirme. Je cherchais un film à aller voir dimanche et j'ai lu ton message. Je n'ai pas hésité une seconde et j'ai adoré.
Tout y est : la confrontation des valeurs et l'opposition des classes sociales, des sentiments, des regards, des paroles, des rendez-vous ratés et des drames personnels qui se croisent.
La caméra filme les acteurs de près et nous enveloppe aussi.
Décidément, l'Iran est un terreau richement ensemencé par leurs dirigeants actuels pour la création cinématographique. Car curieusement, il me semble que cela n'aurait pas de sens dans notre société. Pour autant, on est totalement en empathie avec le combat que chacun des personnages mène pour lui-même et contre lui-même.
Cette fois-ci, je suis 100 % d'accord avec Alain, avant même d'avoir lu sa critique.
Même conseil, courez-y !


Monique L. le 20 juin 2011



Ben moi aussi je suis 100% d'accord avec Alain, pas à 90 ni 95 mais 100% tout rond tout plein. C'est dingue, ça fait même un peu peur à vrai dire.
C'est un film immense, profond, bouleversant, tellement vrai. Tous ces personnages sont loin d'être parfaits, on a néanmoins beaucoup de raisons de les aimer tant ils sont humains. D'ailleurs ils me manquent déjà. Ils n'ont jamais été réellement acteurs ces gens-là, une caméra a juste réussi à usurper un moment de leur vie. Du vrai cinéma car on oublie totalement que l'on est au cinéma et on vit là, avec eux, leurs drames et interrogations d'un quotidien où chaque rationalité se fait irrémédiablement dépasser puis gommer par une autre, dans une longue valse de complexité qui nous emporte vague après vague. Et puis surtout comme le dit Alain, même si on apprécie de découvrir une facette de l'Iran, ce film est avant tout universel et forcément il nous parle. Il n'y a qu'à voir nos tronches dans la salle à la fin du film pour en être convaincu.


Philippe C. le 22 août 2011


Je l'ai vu fin Août et il est toujours présent dans mon esprit.
Ce qu'il m'en reste, c'est l'impression d'avoir partagé une tranche de la vie d'un couple et de sa fille, de leurs voisins, parents et entourages (voisins, femme de ménage, profs) dans une période de crise intense pour eux.
C'est familier et profond, comme s'ils s'étaient tous confiés à moi, pour me faire comprendre leurs contraintes, leur vérité, leurs bonnes et mauvaises raisons de mentir, d'agir, de fuir ou de rester en soutien d'un proche affaibli.
Vraiment un film marquant, le meilleur pour moi cette année jusqu'à présent.


Isabelle e-c le 12 octobre 2011

 

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