Qu'est-ce qui fascine donc tant
les cinéastes dans la vie du couturier Yves Saint Laurent
? Deux films sur le même personnage, sortant à moins
d'un an d'intervalle, c'est de la maladresse ou de l'acharnement
? Si on a la chance (ou la malchance, c'est selon) d'avoir vu les
deux œuvres, il est bien sûr impossible de ne pas comparer.
Le réalisateur de Saint Laurent assure ne pas avoir voulu
faire un "biopic" et n'avoir pas visionné le
film de Lespert, il y a beaucoup de correspondances, ressemblances,
mais aussi façons différentes de raconter les mêmes
évènements, ou de montrer les mêmes personnages.
La comparaison n'est pas à l'avantage du film de Bonello,
même si celui-ci, de toute évidence, a un sens plus
artistique que Lespert. Il y a ici beaucoup d'idées de mise
en scène, de l'originalité, des fulgurances (Ulliel
répétant "je vous le demande" à Aymeline
Valade pour qu'elle vienne travailler pour lui, ou bien un silence
soudain lorsque le maître après une longue absence
débarque quelques minutes avant un défilé,…)
qui cependant ne masquent pas un cruel manque de cohérence
dans le récit. Des personnages apparaissent d'on ne sait
où (Loulou de la Falaise, par exemple) et disparaissent sans
qu'on sache pourquoi. Les aspects économiques de l'entreprise
YSL sont tout d'un coup extrêmement détaillés
au cours d'une interminable séance avec des anglais ou des
américains (?), visiblement des financiers, puis sont totalement
abandonnés. Plus gênant, le mal de vivre d'Yves Saint
Laurent survient comme un pli dans une robe, impossible d'en comprendre
la cause… C'est un patchwork dont certains des morceaux sont
assez beaux, et même prenants, mais l'ensemble est loin d'être
de la haute couture. La fin, entremêlant la fin de vie du
couturier (joué alors par Helmut Berger) avec la décennie
des années 70 vire au grand n'importe quoi narratif, ça
n'est pas désagréable, c'est presque anecdotique et
décoratif, mais cela va sans doute à l'encontre de
la volonté du réalisateur. Le film de Lespert n'avait
sans doute pas autant de créativité mais il tenait
en haleine et certains moments étaient réellement
magnifiques (le défilé de la collection 76, vu dans
les deux films, est presque fade dans la version de Bonello, au
regard de celle de Lespert…) ; l'on se prend, ici, à
s'ennuyer en passant d'une séquence à l'autre.
La composition de Gaspard Ulliel est assez forte mais n'atteint
pas celle de Pierre Niney qui incarnait de tout son être un
personnage qu'on découvrait. Ulliel est plus dans quelque
chose d'extérieur, un ensemble de mimiques, de gestes, une
voix haut perchée, une barbe postiche (ou pas). Niney avait
tout cela lui aussi, mais il semblait que tout venait de l'intérieur,
que tout était plus senti. Quant à Jérémie
Renier, il est très, très loin de l'aspect indestructible
qu'avait réussi à donner Gallienne dans le rôle
de Pierre Bergé. Il n'apporte aucun contrepoint au personnage
de Saint Laurent.
On attend donc un troisième film sur le couturier, qui allierait
l'intelligence du récit et la qualité des acteurs
de la version Lespert et le sens artistique de la version Bonello…
et puis non, ça suffit maintenant, passons à autre
chose, Saint Laurent une fois, d'accord ; deux fois, ça lasse
; trois fois, au secours…