Plaire, aimer et courir vite *

Christophe Honoré

L'histoire

1990. Arthur a vingt ans et il est étudiant à Rennes. Sa vie bascule le jour où il rencontre Jacques, un écrivain qui habite à Paris avec son jeune fils. Le temps d’un été, Arthur et Jacques vont se plaire et s’aimer. Mais cet amour, Jacques sait qu’il faut le vivre vite.

Avec

Vincent Lacoste, Pierre Deladonchamps, Denis Podalydès, Clément Métayer, Adèle Wismes, Thomas Gonzalez

Sorti

le 10 mai 2018


La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

Ironiquement émouvant

 

C'est le meilleur film depuis longtemps de Christophe Honoré. Cela aurait pu n'être qu'une nouvelle histoire d'amour gay, sur fond de sida, d'exclusion et d'humour décalé, avec des scènes explicites comme dans L'inconnu du lac et de la souffrance à cause de la maladie comme dans 12O battements par minute. Bien sûr, il y a un peu de cela, et le public d'une première projection dans un très grand cinéma du centre de Paris fait craindre une production exclusivement communautariste. Mais Honoré ne s'apitoie jamais, ses personnages s'aiment et se respectent mais n'oublient pas de piquer avec esprit dès que l'un d'entre eux commence à se plaindre. C'est formidablement bien écrit, ça virevolte, ça rebondit en permanence. Bien sûr, "l'autre sexe" n'a qu'un rôle mineur et il faut bien dire que le film, vu par un hétéro basique, manque cruellement de femmes, mais pas d'émotions : c'est l'amour la mort la vie, avec légèreté et profondeur, les acteurs portent à merveille l'ironie, les forces et faiblesses de leurs personnages, et même Vincent Lacoste se révèle bon comédien. Pas de musique gnan gnan d'Alex Beaupain, pas d'expérimentation plus ou moins provocante, un récit qui tient parfaitement la route, une période qui date d'hier (1990 !) et semble pourtant déjà un peu lointaine et qui du coup éveille un peu de nostalgie. On peut en sortir en se disant, merde c'que c'est dur les aléas de la vie, et en même temps, qu'est-ce que ça peut être tendre et doux et drôle.

Vos commentaires pour ce film

Plaire, aimer et courir vite : un nouvel impératif catégorique ?

Actuellement sur les écrans, le film de Christophe Honoré Plaire aimer et courir vite plonge le spectateur (tout au moins celui que j’ai été) dans un abîme de perplexité.
De part en part, voici une présentation de la culture gaie contemporaine… ou presque. Toutefois, quand on a dit cela sans plus, on n’a encore pas dit grand-chose.
Les dialogues sont très écrits, littéraires, théâtraux – ce qui n’est pas si fréquent dans le cinéma contemporain. Une phrase en délivre la raison érotique, que je ne cite malheureusement pas textuellement : les gais qui fréquentent les pissotières sont ceux qui lisent. Elle aurait convenu à Jacques Lacan qui, sans l’avoir cherché, scandalisa un beau jour son ami Henri Ey, psychiatre (grand maître de cette discipline en France), en déclarant : « Un homme, ça chie, ça décharge et ça bouffe. » On ne saurait cependant réduire la portée de ce film à cette note, aussi décisive soit-elle pour quiconque s’interroge sur les rapports de l’érotique et de la littéralité.
Sans qu’on le sache tout d’abord, la clé du film réside dans le dernier verbe du titre : « courir ». Un « courir » rendu intense par le « et vite » qui, on y viendra, est aussi un évitement. Autant « plaire » et « aimer » peuvent être attendus, autant ce « courir », qui vient curieusement à leur suite, paraît ici incongru. Qu’est-ce donc qui veut qu’après avoir plu et aimé l’on se mette à courir ?
Il ne s’agit de rien de moins que de l’impératif catégorique du moment présent. Cette affirmation peut surprendre. D’autant que réduit au seul moment présent cet impératif paraît bien plutôt hypothétique que catégorique (distinction kantienne, comme on le sait). Aussi ne le dis-je tel que parce que ce présent se veut universel, que parce que l’exigence du courir se dispense de toute conditionnalité.
On ne compte plus les gens qui, en Occident, se sont mis à courir… Ce dont on ne saurait rendre compte par le seul souci de corps que l’on souhaite en bonne forme, resplendissants de santé. Ce Jacques Lacan qui remarquait que l’homme idolâtre son corps, le même disait à une analysante qui s’en lamentait : « Qu’est-ce donc qui vous bassine encore avec votre beauté ?
Chaque sport invente et met en œuvre sa propre éthique. Cela d’autant plus que le corps s’y trouve mis en danger. Demandez à un surfeur en train de barboter dans l’eau parmi d’autres surfeurs dans l’attente d’une opportunité à qui parmi eux revient la prochaine vague. Les règles sont parfaitement établies et sues de chacun. Et gare à qui y déroge ! Elles interviennent aussi hors de l’exercice proprement dit, dans la vie du groupe.
Courir est aussi ce que pratique le narrateur d’Une vieille histoire de Jonathan Littell (Paris, Gallimard, 2018). Tantôt homme, tantôt femme, ou enfant, ou transsexuel, à quelque titre que ce soit, il enchaîne les récits de scènes érotiques et presque toujours violentes, recensant pour finir, ainsi que le fit un célèbre marquis, toutes celles que l’on peut aujourd’hui répertorier. Mais, faisant contraste à cette diversité, à chaque fois, le passage d’une scène à la suivante est le même, fait d’un souple, joyeux et élégant courir. Quels qu’aient été les dégâts faits à son corps dans ce qui vient de lui arriver, il en ressort toujours avec la même agréable aisance du sportif. Il y a une jouissance du corps, différente de celle de la chair. Qui dit jouissance dit éthique.
Quelle transformation dans l’éthique signale cette actuelle valorisation du courir où se croisent Jonathan Littell et Christophe Honoré ? Je tiens la réponse de ce dernier. Après plaire et aimer, courir s’impose comme une issue. Pour ce coureur (on notera l’équivoque) rien, aucun événement, pas même la mort, n’a de véritable importance : tout passe, tout lasse, tout casse. Chez Christophe Honoré comme chez Jonathan Littell, courir désamorce, dévitalise, désérotise tout ce qui a bien pu se passer, tout ce qui se passe et tout se passera. Tel serait donc le nouvel impératif catégorique ?
L’érotique peut être explorée et exploitée tous azimuts car… peu importe, car, pour finir, c’est à la domination du freudien principe de plaisir (de réduction des excitations au plus bas niveau possible, de tranquillité) que ce nouvel impératif assigne tout un chacun. En un mot franglais, devenu d’un usage si fréquent : « cool ! »


Jean Allouch, le 23 mai 2018

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