C'est d'abord une splendeur visuelle,
des décors fantastiques, des maquillages horribles et beaux
en même temps, des costumes hallucinants, une succession de
cadrages qui en mettent plein la vue, une photographie sublime magnifiée
par des éclairages irréels… c'en est presque
trop ! Et puis, non, on ne va bouder son plaisir, tout cela participe
à créer un univers qui fait penser à Caro et
Jeunet, Tim Burton ou au Fincher de Benjamin
Button mais ces "poor things" surpassent visuellement
tout ce qu'on a pu voir précédemment. Attention, ce
n'est pas un étalage de guimauve, on est parfois proche de
visions à la Jérôme Bosch, des délices
effarants, et il faut parfois avoir le cœur bien accroché
pour supporter des scènes… tranchantes.
Ces images seraient bien vaines si le réalisateur les avait
plaquées gratuitement sur quelques évènements
ordinaires. Il n'en est rien. C'est l'histoire d'une émancipation,
d'un récit initiatique à plusieurs étages,
du destin fou d'une jeune femme dont les secrets de sa résurrection
sont déjà un défi à l'entendement. Elle
est en quelque sorte fille de Dieu, mais aussi d'elle-même,
c'est bien sûr de l'ordre du conte, du récit picaresque,
de la légende en mouvement. Le personnage a, de par son origine,
de quoi alimenter bien des fantasmes, déployer un imaginaire
qui se multiplie, mais cette Bella est aussi entourée d'autres
protagonistes hauts en couleurs qui l'accompagnent dans sa folie
et sa soif de découvertes, qui pensent pouvoir la guider
et peut-être se servir d'elle quand elle finit toujours par
aller plus haut, plus loin, gagnant en sérénité,
s'épanouissant sans jamais connaître la honte malgré
tout ce qui lui arrive. C'est au final un récit formidablement
féministe, sans une once d'ennui, une plongée de presque
deux heures et demie dans une folie douce et dure à la fois
dont on sort en se disant qu'elle aurait pu durer encore plus. Lánthimos
tiendrait-il son chef d'œuvre ?