Ne pas s'arrêter au titre…
Ne pas lire le synopsis, qui peut faire craindre le pire…
Ne pas penser que Duris va encore trimballer son sourire carnassier
pour excuser toutes les éventuelles goujateries de celui
qu'il interprète… (et d'ailleurs, aucune goujaterie)
Juste se laisser embarquer et faire connaissance avec les personnages,
parfaitement crédibles dans tout ce qui est montré
à l'écran comme dans tout ce qui reste caché
dans les ellipses. Oui, c'est un film "social", qui présente
des individus qui se lèvent tôt et sont prêts
à se lever encore plus tôt pour conserver leur emploi
mais qui n'en peuvent plus, des cadences inhumaines, de la façon
dont on les traite et qui parviennent tout de même à
en rire (oh, le dérisoire des bonnets de Noël). L'entreprise
est nommée, et si le nom est fictif, chacun aura reconnu
Amazon, cette championne du non droit social de ses employés.
Et puis, sur ce fond gris terne, dans ce marasme économique,
il y a des hommes et des femmes qui font ce qu'ils peuvent, qui
ne vivent pas des contes de fées et qui se prennent des beignes,
comme une compagne qui se fait la malle, sans doute parce qu'elle
n'en peut plus, mais ce n'est pas sûr. Le spectateur est aux
côtés de celui qui reste et n'en sait pas plus que
lui. Il résiste, il fait face, mais ce n'est pas un héros,
juste un homme en plein désarroi. Autour de lui, les équilibres
bougent, vacillent, s'écroulent parfois, se reforment différemment,
tous sont touchés, des mots fusent et parfois il n'y a plus
de mots et avec rien, juste une petite danse des épaules
et une chanson populaire un peu cucul mais tout d'un coup magnifique,
un frère et une sœur s'étreignent et c'est la
plus belle scène de l'année. Enfin, disons une des
plus belles, qui fait serrer la gorge. Laetitia Dosch (la sœur)
est magnifique, elle est d'une simplicité sublime.
Tout cela est mis en scène avec quelques partis pris sommaires
mais tenus avec force, sans affectation : caméra portée
pour être au plus près des acteurs, aucune musique
(sauf la chanson populaire mais ce sont les personnages qui l'écoutent)
pour souligner les scènes, des dialogues pas écrits,
tout en impro et ça marche, l'émotion naît d'une
hésitation, de quelques mots qui se chevauchent. Après
un Keeper plutôt
délicat et déjà très crédible
autant socialement qu'émotionnellement, mais un peu trop
corseté, Guillaume Senez donne beaucoup plus de libertés
à ses comédiens tout en leur demandant de jouer avec
la complexité des situations simples en apparence. Il en
résulte un très beau film. Oubliez le titre, et courez
le voir.