Xavier Dolan,
vingt-trois ans, toutes ses dents et on n'a pas fini de clamer son
talent... La preuve en est l'avalanche de critiques sur son œuvre.
Si certains le trouvent génial, d'autres lui reprochent son
enrobage formel, son trop plein d'images, de couleurs, de sons, d'idées...
par ces temps de vaches maigres de véritables auteurs de cinéma,
un Dolan fait un bien fou. On peut même lire ici ou là,
Dolan fait du Dolan, il ne sait faire que ça. Et c'est tant
mieux, c'est bien ce qui fait la marque d'un véritable artiste
: reprochait-on à Fellini de faire du Fellini ?
Son dernier film, sur un homme avec un prénom de fille vivant
une histoire d'amour avec une fille qui porte un prénom de
garçon, confirme sa créativité bouillonnante
: il n'y a pas une image qui ne soit travaillée, éclairée
de façon inédite, ou redécoupée selon
des pointillés qui vous font écarquiller les yeux, montée
pour provoquer la surprise (et comme par hasard, c’est aussi
Dolan qui s’occupe du montage ; en plus d’être doué,
il est également hyperactif, le bougre !) Impossible de s'ennuyer
devant un film pareil. On peut être troublé, agacé,
choqué, exaspéré, mais ennuyé, jamais.
Les deux heures trente passent, chaotiques, démesurées,
trépidantes, hallucinées, et à la fin on en redemande...
Sa première œuvre, "J’ai tué ma mère"
ne pouvait se passer du réalisateur en tant que comédien,
il jouait le fils parce que c’était une manière
de raconter sa propre histoire. Dans son deuxième film, "Les
amours imaginaires", il était encore des deux côtés
de la caméra, son personnage lui ressemblant encore sans doute
un peu, beaucoup… Ce troisième opus est pour lui le premier
où il n’est que le réalisateur. Cela lui permet
probablement de donner plus de profondeur à son sujet, de s’y
consacrer pleinement, et parfois, c’est complètement
hypnotisant, même si on se sent un peu étranger à
la thématique : le changement de sexe, ça peut ne pas
passionner tout le monde. Et pourtant, Dolan y met tellement de conviction
qu’on a l’impression que c’est le problème
du siècle. Peut être aussi parce qu’au delà
du transgenre, le film aborde simplement les relations de couple,
l’amour à l’épreuve du temps et de l’égocentrisme
d’une de ses composantes. Laurence, le personnage joué
par Melvil Poupaud, de par son histoire familiale et son parcours,
ne peut sans doute pas faire autrement que d’imposer son choix
à ses proches, en premier lieu sa compagne. Le fait qu’il
imagine qu’elle va l’accepter et que leur relation perdurera
ne le rend pas très sympathique (mais le film ne cherche pas
l’empathie du spectateur, il montre, c’est tout…),
Laurence est donc, parfois, insupportable. Suzanne Clément
joue la compagne, et tout comme l’était Monia Chokri
dans "les amours imaginaires", elle est magnifique d’humanité,
aimante, pleine de doute, dévoreuse de vie, fragile et forte.
L’actrice y est pour beaucoup, s’investissant dans le
rôle de façon incroyable, mais Xavier Dolan est certainement
aussi initiateur de cet état de grâce, il sait filmer
les actrices, et leur offre des personnages formidablement crédibles,
bien plus émouvants que leurs homologues masculins…
Xavier Dolan, vingt-trois ans, trois films, trois bijoux, vivement
le prochain ! C’est un vrai bonheur de cinéphile que
de connaître l’éclosion d’un grand metteur
en scène…
|