LE plaisir… on accepterait de subir cinq palmes d’or aussi
pénibles que l’oncle de l’abeille qui fait boum,
ou bien dix machins américains en 3D, juste pour le bonheur
de découvrir un tel bijou, en forme d’avalanche d’idées,
drôle, surprenant, exaltant, excitant, désespérant
aussi mais d’une mélancolie joyeuse…
Ces amours imaginaires explosent de couleurs, d’angles impossibles,
de lumières étincelantes ou crépusculaires ;
on se croirait parfois dans une œuvre concoctée par l’imagination
conjointe de Tarantino, Wong Kar-Waï et Almodovar, et puis non,
même s’il y a des influences, indéniables, l’auteur
(oui, Xavier Dolan est un auteur, à part entière) a
sa propre personnalité, provocante, extravertie, spectaculaire.
Ce qui frappe à la vision de ce film américain (oui,
mais du nord, et plus précisément québécois,
avec des intonations à mourir…), c’est son style,
comme dirait Ferré. Xavier Dolan ne fait pas du cinéma
calibré, il faut que ça en mette plein la vue, et la
vue ainsi remplie, on a l’esprit ouvert, et en fin de compte,
ravi. Avec une idée à la minute, chaque scène
regorge d’inventivité : ici un cadrage hallucinant, plus
loin une transition musicale extra-osée, ailleurs un déhanchement
de rêve, et puis un gros plan sur un visage extatique, une silhouette
comme illuminée de l’intérieur, des corps enlacés
dansant et pourtant immobiles, on pourrait prendre chaque plan comme
une perle, et tous réunis, en faire un collier somptueux, où
rien ne ressemblerait à la suite ni à ce qui précède.
Alors oui, parfois, on se perd dans une telle débauche d’images,
on se croirait dans une publicité pour parfum, on frôle
le narcissisme (regardez comme c’est beau ce que je filme…)
et forcément, avec les suites pour violoncelle de Bach, toute
image devient belle… il n’empêche, la forme est
d’une séduction absolue et l’ambition énorme
du metteur en scène pour son film n’atteint jamais la
prétention car cette beauté n’est pas gratuite,
il y a un discours là-dessous. Bien sûr, ce qui est dit
sur l’amour n’est pas fondamentalement original mais les
clichés sont absents, et l’ensemble du récit parvient
à ne pas être complètement noir, ni béatement
rose, tout en évitant le gris ambiant de tant d’histoires
d’amour du cinéma contemporain. Comme le titre l’indique,
on ne sait pas ce qui est imaginaire ou réel et cela n’a
aucune importance, les contrastes parviennent à donner de la
valeur à toutes les teintes, à toutes les scènes,
aux trois personnages, à leur non-dits comme à leurs
tirades hilarantes ou mélancoliques. Des trois comédiens,
Monia Chokri brille peut-être plus que les autres (mais je suis
un homme, hétéro à 300 %), elle porte ses robes,
ses moues et son humour d’une façon inimaginable…
sauf peut-être par ce diable de réalisateur, dont l'imagination
déborde, envahit tout l'écran!
Les amours imaginaires, encore, encore, encore…
Oups ! j'en dis trop ! allez le
voir en imaginant qu'on vous a dit que c'était une bouse ou
une chose insignifiante...