Situé, d’une certaine
façon, entre le splendide "Welcome"
de Philippe Lioret et le facile "Je
vous trouve très beau" d’Isabelle Mergault,
ce film d’Anne Le Ny prend comme point de départ la situation
des sans-papiers, mais au fond ne traite pas vraiment le sujet. C’est
le premier aspect politiquement incorrect du deuxième long
métrage de cette actrice passée à la réalisation
et qui ne se regarde pas le nombril (de gauche, le nombril, et bien
pensant, c’est mieux)…
Après les conjoints des cancéreux en phase terminale
(Ceux
qui restent), elle s’intéresse aux proches d’un
vieil homme qui décide d’abriter une jeune femme moldave
et sa fille. Ces deux dernières resteront des personnages secondaires,
dynamitant la cellule familiale, mais tout de même au second
plan. Le couple mis en avant est formé par le frère
et la sœur, et ce qui en est dit est cruel et tendre en même
temps. Les relations au sein de cette famille sont un autre aspect
socialement incorrect. Ça discute en profondeur, les échanges
ne restent pas superficiels, passent allègrement la limite
du bon mot pour toucher là où ça peut faire mal.
De la comédie (les dialogues sont souvent drôles), on
glisse souvent à l’amer, on frôle l’indécence
sans jamais l’atteindre mais le dérangeant, oui, on est
en plein dedans. Les claques échangées sont bien plus
morales que réelles, et certaines sont adressées au
spectateur…
Le récit n’est pas tout à fait clos, tant dans
son déroulement que dans son épilogue. Les points de
suspension pour certains personnages ont parfois des béances
tragiques, et certaines prises de conscience, qui dans d’autres
films sans doute mieux pensants auraient débouché sur
des revirements ou au moins des remises en cause des parcours de vie,
restent ici comme des constats d’échec, des abîmes
de perplexité. Que fait un fils face à son père
qui lui dit qu’il se sent déjà mort, comment se
sent-on quand on a laissé commettre l’irréparable
action contraire à ses propres valeurs morales, pourquoi certaines
confidences totalement indiscrètes sortent au plus mauvais
moment, quelle est la part d’hypocrisie de chacun…
On en sort un peu troublé, surpris sans doute d’être
déstabilisé par ce qui reste une comédie, certes
amère, mais tout de même une comédie.
Celle-ci d’ailleurs manque parfois de rythme, les dialogues
formidables n’ont pas toujours le bon tempo, il manque un doigt
de naturel pour être totalement dedans, mais qu’importe,
Anne Le Ny, en deux films, s’inscrit dans le cercle restreint
des observateurs pointus des sentiments. On attend le prochain, avec
impatience…