Quand je dis, en bon mâle
hétérosexuel basique, que j'adore Scarlett Johansson,
pas de surprise chez ceux qui m'entendent. Mais quand je rajoute
que ce que je préfère chez elle, c'est…sa voix,
personne ne me croit. On me regarde come une sorte de menteur qui
n'assume pas son statut de loup tendance Tex Avery face à
l'actrice la plus sensuelle de ce début de siècle.
Bon, comme vous voulez, mais c'est ainsi, les voix voilées
un peu traînantes où l'on sent pointer une petite mélancolie
teintée de douceur, ça me fait quelque chose…
Et donc, voilà ce film, "Her", avec non pas Scarlett
Johansson, mais juste sa voix. Pas besoin de beaucoup d'efforts
pour s'identifier au personnage joué par Joaquin Phoenix
qui tombe amoureux de la personnalité virtuelle créée
par le système d'exploitation de son ordinateur et ayant
la voix de l'actrice. Si certains sont allés le voir en version
française, eh bien, c'est raté, ils ont vu un autre
film, certainement beaucoup moins étonnant et charmeur.
Alors oui, bien sûr, la question se pose, une telle relation
avec un être totalement virtuel pourra-t-elle exister d'ici
quelques années ? La réponse est bien évidemment
positive, on peut même imaginer pire. Je me disais que la
génération de nos grands-parents ne pourrait absolument
rien comprendre à ce type de film, on peut prévoir
que d'ici quarante ans, on écrira des histoires d'êtres
virtuels que nous, quadras ou quinquas actuels, ne saisirons pas
le moins du monde.
Et maintenant, en 2014, trente ans après 1984 (ouf, Orwell
n'avait pas vu tout juste), qu'en est-il ? Que peut nous faire une
telle histoire ? Tout ce qui tient de la forme est très étudié,
les décors, les costumes, l'aspect certes futuriste mais
pas vraiment daté, la douceur apparente de la vie quotidienne
(tout le monde semble travailler dans l'industrie des loisirs, dans
des atmosphères douces où l'agressivité n'existe
pas), tout est à la fois crédible et improbable, pas
une voiture en vue, pas un seul SDF… L'ambiance sonore et
visuelle est feutrée, bien loin des univers de science-fiction
qui sont habituellement montrés au cinéma, et rien
que pour cela c'est assez réjouissant, le film ne tombe pas
dans les clichés, on n'en attendait pas moins du créateur
du formidable "Dans la peau de John Malkovich".
En revanche, le scénario laisse le spectateur un peu décontenancé.
L'amour imaginaire pour une poupée gonflable ("Monique"
de Valérie Guignabodet, ou bien "Une
fiancée pas comme les autres" de Craig Gillespie),
on l'a déjà vu au cinéma, et cela finissait
forcément par une prise de conscience du héros qui
s'intéressait à nouveau aux humains. Dans "Simone",
Al Pacino créait une actrice virtuelle qu'il voulait faire
disparaître en fin de compte après une période
de gloire. Les sentiments éprouvés n'étaient
pas d'ordre romantique, au contraire de "Her". On peut
ici être complètement pris par le récit de la
relation amoureuse et le personnage virtuel en oubliant (presque)
qu'il ne s'agit que d'une suite de 1 et de 0, certes complexe, mais
tout de même le résultat d'un programme. On peut au
contraire l'avoir toujours à l'esprit et trouver tout cela
parfaitement ridicule. On peut aussi faire le parallèle avec
les relations virtuelles entre véritables humains qui échangent
par messages numériques sans jamais se rencontrer : cela
peut-il combler un vide ? certainement ; cela peut-il se substituer
à une relation charnelle ? quelle qu'elle soit, la réponse
est non, bien évidemment. Et le propos du film s'en trouve
alors assez vain. Malgré cela, il y a quelque chose d'émouvant
dans cette solitude, dans ce refus de la réalité,
dans cette esquive de la difficulté de la relation amoureuse,
désirée mais pas assumée…