Vingt cinq ans, et pas une ride
pour l'ancêtre d'à peu près tous les films sur
la banlieue. Juste une absence, qui indique que nous ne sommes pas
encore au 21eme siècle, le poids de la religion, presque
inexistant. Les trois personnages représentent chacun l'une
des trois communautés monothéistes, mais il n'y a
aucune tension due à des intolérences religieuses.
Les "frères" sont encore loin, en 1995, d'avoir
pris le pouvoir et imposé leurs règles.
Tout le reste est d'une actualité troublante. Côté
farce, et côté tragédie.
Pour la farce, l'injure et le verbe haut font office de communication.
Comme dans les misérables
de 2019, la langue est un régal, inventive, imagée,
en forme de galéjade sans cesse renouvelée. Ce sont
des soliloques qui résonnent dans un silence attentif, ou
bien des dialogues ultra vifs, où chacun se bouffe la réplique.
C'est de toutes façons du théâtre permanent,
très souvent drôle, toujours percutant.
La tragédie fait s'opposer les exclus et ceux qui sont chargés
de maintenir l'ordre, souvent dépassés, au bord de
la bavure, et là aussi, le film de Ladj Ly puise exactement
dans le même terreau que celui de Kassovitz. C'est implacable,
comme des destinées en marche, c'est cruel et désespérant,
il semble que l'espoir d'en sortir soit inexorablement déçu.
La haine fait sans doute partie de ces films qui vont marquer
l'histoire du cinéma, fruit de l'assemblage de talents bruts
et de séries de petits miracles.