Le verbe, haut, puissant, nerveux,
imagé, très imagé… Les relations, conflictuelles,
professionnelles, amicales, passent d'abord par ces échanges
verbaux, par ce parler unique, en perpétuelle création,
au rythme de l'énergie de chacun, où l'injure n'est
pas si grave et sert de ponctuation ou de reconnaissance entre membres
d'un même univers ; où les blagues, les galéjades,
les réparties sont indispensables pour exister ; où
parfois un mot savant survient comme une perle. Le flic qui vient
d'arriver là, dans cette banlieue, découvre cet art
du dialogue avec stupéfaction, c'est rien de le dire, un
art accompagné d'une multitude de codes qu'il est incapable
de saisir tout de suite, surtout que ces codes ne sont pas partagés
par tous. Un mot ou un geste de trop ici, et c'est l'explosion assurée,
alors qu'une avalanche de ces mêmes mots ou gestes, mais dits
par d'autres et dans un contexte légèrement différent,
fera autant d'effet qu'un minuscule déplacement d'air.
Le film cueille le spectateur et l'installe dans la cité
ou dans la voiture des flics, presque immédiatement. C'est
tendu, tout de suite, mais c'est aussi incroyablement drôle,
par les situations, par les personnages. Cela peut ressembler à
un documentaire parce que la caméra est au plus près
et vous plonge dans ce monde inconnu sans ménagement. Mais
c'est aussi une œuvre de fiction, entremêlant la comédie
et le drame : le vol (ou l'emprunt) d'un…lionceau dans un
cirque est l'étincelle qui met le feu aux poudres. C'est
à la fois dérisoire (une sorte de grosse peluche vivante)
et potentiellement mortel (qui es-tu, toi, homme misérable,
pour oser enfermer un lion, animal si noble ?). C'est juste un symbole
de tout ce qui peut déclencher au choix un échange
fleuri mais souriant, ou bien une véritable guérilla
urbaine.
Les trois acteurs qui jouent les flics sont monstrueux, "Chris"
en tête, formidablement crédibles, mais les personnages
de la cité, le Maire, le frère musulman ou le fournisseur
en tout ce qui s'achète, sont aussi impressionnants. Enfin,
les gamins, les Gavroche (pas de Cosette, signe des temps…),
sont finalement les plus terribles parce qu'on se dit qu'après
avoir vécu une jeunesse pareille, ils ne peuvent devenir
que des adultes perdus, en marge. Des Misérables.