En plein dans le mille…
Andrew Niccol aborde un sujet qui pourrait bien fâcher outre-Atlantique.
Peut-on imaginer le même type de film ici, en France ? Un
film qui attaquerait la façon de combattre d'un pays, et
par là même, sa politique extérieure (ou son
absence de politique, justement…) est tout simplement impossible
dans notre bel hexagone si démocratique. Ou alors sa diffusion
serait tellement confidentielle que ce serait comme s'il n'avait
jamais existé. Good Kill est réalisé par un
poids lourd du cinéma américain, avec quelques acteurs
bien en vue. Rien que l'existence de ce type de film prouve la puissance
de ce contre-pouvoir qu'est le cinéma aux Etats Unis.
Good Kill regorge de qualités, de points de vue passionnants.
La façon dont est filmée la banlieue résidentielle
où vivent les pilotes de drones rappelle les vues d'Afghanistan
(ou d'ailleurs) que les mêmes drones peuvent envoyer à
ceux qui font la guerre derrière un écran, envoyant
des bombes sur des maisons qui font penser à celles où
ils rentrent le soir, lorsque leur journée est finie…
L'évolution du personnage principal est révélatrice
d'un malaise qui grandit : d'abord un soldat qui obéit aux
ordres de ses supérieurs puis un homme qui se demande si
l'on ne crée pas plus de terroristes qu'on n'en extermine,
avec cette manière de "combattre". L'absence de
prise de risques envoie en "première ligne" des
femmes, et le récit montre que c'est de l'une d'elles que
vient la prise de conscience, le doute. Tout le monde peut ainsi
faire la guerre, à partir du moment où l'on sait manier
un joystick, et c'est alors une guerre sans fin. Est-ce le but d'une
armée, d'un pays ? Andrew Niccol, avec ce film, pose de multiples
questions, remet en cause bon nombre d'engagements et s'oppose à
la vision bien plus fermée de Clint Eastwood dans "American
sniper". Pourtant, les deux ont beaucoup de points communs,
dans leur volonté de ne pas donner d'existence, en tant que
personnages éventuels, aux "ennemis". Mais là
où Eastwood se pose en pur américain ignorant du reste
du monde et évitant toute réflexion sur les causes
et les aboutissants de la guerre, Niccol met le doigt sur cette
ignorance coupable et fait des conséquences possibles de
ces frappes "chirurgicales" une contradiction énorme.
Quel dommage alors de finir son film avec une tentative de rédemption
de son anti héros… Pourquoi ne pas l'avoir laissé
tel qu'il est devenu, complètement désemparé,
en pleine débâcle…? Au lieu de cela, sa dernière
action le rachète d'une certaine façon, et lui donne
un aspect cow-boy vengeur typiquement américain, pour le
coup peut-être plus cinématographique mais infiniment
moins crédible.