Jacques Audiard ne fait pas du
cinéma tiède. Même si dans cette dernière
production, son style semble moins personnel, il conserve de film
en film, une patte, un regard, une façon d'aborder de front
ses sujets. De par le choix de ceux-ci, il s'approcherait d'un Philippe
Lioret, mais là où le réalisateur de "Welcome"
(auquel on pense, forcément…) assume sa petite musique
de chambre, Audiard œuvre dans un autre registre, baroque flamboyant
ou rock pur et dur. Il cherche à marquer le spectateur, par
l'image, par le récit, par un certain radicalisme.
Le scénario qu'il propose n'est pas sans surprises, et passe
d'une ambiance à l'autre parfois avec finesse et presque
sans que l'on s'en rende compte, parfois avec une brutalité
incroyable. D'abord traitée comme un documentaire, l'histoire
de cette famille composée (même pas recomposée)
qui s'installe en France, bascule par paliers successifs dans un
thriller ultra nerveux, y perd au passage un peu de sa crédibilité
mais gagne en tension. La toute fin, qui peut choquer quelques spectateurs,
peut s'interpréter comme un rêve, une terre promise
et un mode de vie inaccessible.
Que le film ait remporté la palme d'or à Cannes montre
que le cinéma engagé n'est pas mort, loin de là.
Il y a une vision sociale et politique sans manichéisme,
tout n'est pas sombre (même si tout n'est pas simple, l'Ecole
fait son boulot, la jeune fille apprend le Français) et si
les questions religieuses ne sont qu'effleurées, la vie dans
la cité semble assez plausible. On en sort troublé,
voire assommé, avec de multiples interprétations possibles,
sur la nature des relations entre les personnages, sur ce qui se
joue en dehors du cadre, mais pas sur la désespérance
des migrants et sur la nécessité de traiter à
long terme cette catastrophe humanitaire, en prenant en compte tous
les paramètres. Un défi pour les Hommes en ce début
de vingt-et-unième siècle.