Audiard s'intéresse
aux hommes qui tombent, depuis toujours. A ceux qui tombent et se
relèvent et tombent à nouveau… Si à la
fin l'homme est debout, on se dit que le film donne de l'espoir. Si
au contraire il est à terre, le pessimisme est de rigueur.
En réalité, dans les deux cas, la suite que l'on peut
imaginer après l'épilogue viendra inverser l'impression
que l'on peut avoir en sortant de la projection.
C'est donc un homme qui tombe (pour un boxeur, c'est normal). Et une
femme, aussi (elle est dresseuse d'orques, pas vraiment banal comme
métier). A la différence de lui, elle est capable de
ne pas rechuter, une fois reconstruite. Il faut dire que son propre
destin est particulièrement douloureux et spectaculaire. Mais
qu'importe, elle a la vie en elle, chevillée au corps, même
si celui-ci est brisé. Sa renaissance n'est pas due qu'à
propre volonté, elle est aidée, parfois involontairement,
par l'homme qu'elle rencontre. Pour lui, les choses sont plus compliquées.
Si l'on prend en compte tout ce qui lui arrive pour qu'enfin il se
comporte en homme debout et prêt à affronter la prochaine
épreuve, on peut se dire que l'addition est lourde, terriblement
lourde, pour lui et ceux qui l'entourent.
Ces deux personnages sont formidablement incarnés par deux
acteurs monstrueusement impliqués, mis en scène sans
pathos mais avec une énergie dévorante.
Ce qui fait parfois décrocher et rend l'ensemble finalement
bancal, ce sont les personnages secondaires. Non pas qu'ils ne soient
pas intéressants ni mal interprétés, bien au
contraire. Mais leur histoire est au moins aussi prenante (et parfois
plus) que celle des deux personnages principaux. Le contexte social
n'existe que par eux, au travers de ce qu'ils vivent. Les liens entre
leurs parcours respectifs et ceux de l'homme qui tombe et de la femme
qui se relève paraissent bien ténus et plus encore que
le lien, c'est le degré d'empathie ou de curiosité vis-à-vis
des protagonistes qui interroge. On est en droit de préférer
la sœur (Corinne Masiero, formidable, vue récemment dans
Louise Wimmer), généreuse, battante, révoltée,
à son frère (celui qui tombe), qui teint tout de même
bien plus de la brute épaisse que de l'ami délicat sur
lequel on peut compter. De même, l'installateur de caméras
de surveillance illégales (Bouli Lanners, génial comme
d'habitude), porte une telle dose d'ambiguïté, salaud
et demi (et c'est bien sûr le demi qui l'emporte) qu'il en devient
fascinant.
Du coup, l'histoire d'amitié, ou d'amour, ou des deux mêlés,
entre le boxeur et la dresseuse d'orques, perd un peu de sa force,
malgré l'intensité de jeu de Marion Cotillard, malgré
la violence des combats, malgré l'impression d'urgence donnée
par la mise en scène. Le précédent film de Jacques
Audiard, "un prophète",
était plus resserré, avec beaucoup moins d'air, à
la limite de la suffocation, mais ici, on reste un peu en dehors du
récit, avec un peu d'indifférence…
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