Ce film de Jan Kounen reprend le
personnage de Coco Chanel là où Anne Fontaine l’avait
laissée avec "Coco
avant Chanel". Mais ici, il n’est pas question d’une
quelconque "biopic", comme on dit maintenant… Le récit
se concentre presque exclusivement sur la liaison entre Mademoiselle
et le compositeur Igor Stravinsky, à mi-chemin entre réalité
et fantasmes. C’est une curieuse confrontation de styles, de
façons d’aborder la création artistique. Stravinsky
lance à son amante dans un instant de colère, "tu
n’es pas une artiste, Coco, tu es une marchande de tissus…"
On ne pourra pas juger la véracité de l’ensemble,
par manque de sources fiables, et finalement, là n’est
pas l’essentiel. Il y a d’un côté une élégance
glacée, une beauté à la voix grave, personnifiée
par Anna Mouglalis qui compose une Coco Chanel hautaine, dont on ne
voit jamais les sentiments. De l’autre côté du
lit ou du piano, il y a la musique de Stravinsky, terriblement en
avance pour son époque, souvent incomprise, radicale. Mads
Mikkelsen compose un personnage tourmenté malgré son
apparence sage derrière ses petites lunettes rondes. Mais le
film ne se résume pas à ce duel amoureux, ce contraste
de caractères un peu facile. La musique de Stravinsky est passionnée,
certes, mais elle répond également à tout un
système très codifié qui peut apparaître
comme un carcan, et les modèles créés par Coco
Chanel privilégient la liberté de mouvement, sa propre
vie est un défi aux conventions de l’époque…
La relation entre ces deux êtres est donc bien plus complexe
qu’elle n’en a l’air.
Et puis, quelque part entre les deux, probablement dans une large
proportion imaginé par l’auteur du roman dont est adapté
le film, ainsi que par le réalisateur lui-même, il y
a le personnage de Catherine, la femme de Stravinsky, ici bouleversante,
pas seulement en victime, en femme trompée. Elle apporte une
part d’humanité face à l’égocentrisme
des deux créateurs, c’est elle finalement qui porte la
passion, les sentiments, l’émotion. En n’en faisant
pas simplement une femme voulant préserver son couple et son
foyer, mais aussi un être plein de doutes, d’interrogations,
Jan Kounen ouvre le film et le sauve de la froideur créée
par le couple-vedette.