Elles sont belles, ces quatre
filles de banlieue… Belles comme les filles qu'on voit passer
en bandes, verbe haut, rire sonore, démarche féline,
provocation jamais très loin… Elles sont ainsi, remplissant
toutes les conditions du cliché, définies comme telles,
des filles en bande qui font grincer les dents des ménagères,
fantasmer les hommes d'affaires et frôler les murs les garçons
seuls. Elles sont belles et pleines de vie, lorsqu'elles se castagnent
avec d'autres filles venues d'autres bandes, lorsqu'elles dansent
et chantent dans une sorte de fête intime, lorsqu'elles redeviennent
toutes petites comme des enfants sur un parcours de mini-golf…
Ensuite un peu moins belles et moins triomphantes lorsque les garçons,
en bandes eux aussi, les regardent, les toisent, leur faisant comprendre
qu'elles ne sont que des proies disponibles. Et puis au bord du
gouffre, terrorisée et résignées lorsque ces
mêmes garçons, grands frères, pères,
oncles, cousins, protecteurs d'un danger qu'ils ont eux-mêmes
créé, leur dictent les lois d'une cité où
jamais les femmes n'auront les mêmes droits que les hommes.
Le film raconte tout cela, à sa façon bien particulière,
alternant d'un côté la beauté éclatante
ou au contraire soumise, et d'un autre côté la laideur
neutre des barres d'immeubles et des ombres qui y passent, semblant
porter tous le même uniforme, sweet à capuche, regard
éteint au travers des yeux de braise. Jouant de ces clichés
mais n'en sortant jamais, le récit ne surprend pas, déroule
comme une fatalité le destin d'une fille qui voudrait échapper
à cette domination masculine. La vision de Céline
Sciamma de cet univers est intéressante dans sa forme, parce
qu'elle ne reproduit pas la plupart des codes du "film de banlieue"
: pas de caméra nerveuse, ni rap et tags, ni misérabilisme
social mais dans le fond, elle n'apporte rien au discours ambiant
sur cette jeunesse-là. Mais sans doute n'y a-t-il rien à
y apporter ? Il semble que les jeunes filles de "Naissance
des pieuvres" et la toute jeune ado de "Tomboy"
étaient montrées à un tournant de leur vie,
et malgré l'âpreté de ce passage, leur futur
était bien plus ouvert que celui de l'héroïne
de cette bande de filles, dont l'avenir semble sombre, très
sombre. De cette opacité, Céline Sciamma n'en sort
pas, et ne termine pas vraiment son film. Elle laisse tout le monde,
personnages et spectateurs, dans une interrogation désespérée.