"Naissance
des pieuvres", le premier film de Céline Sciamma,
sur un scénario riche en potentialités, décevait
par un manque d’ambition dans sa mise en scène. Ce "Tomboy"
a de la grâce, une personnalité bien plus affirmée,
et malgré le thème sur le fil du rasoir, l’ensemble
est un délice subtilement poivré. Le scénario,
moins riche que celui de "naissance des pieuvres", a la
fausse simplicité d’une histoire pour enfants, juste
un peu cruelle, comme lorsqu’un enfant fait une grave bêtise
ou un énorme mensonge et se fait rattraper au bout du compte.
Mais ici, il n’y a pas de jugement de valeur, l’expérience
de Laure, dix ans, qui se fait passer pour Mickaël, n’a
qu’un temps, bien sûr, mais ce qu’elle lui apporte
et lui permet de découvrir n’est pas vain. La façon
dont elle est démasquée et doit alors réparer
sa "faute" est douloureuse, d’une grande violence
morale mais ne remet pas en cause son plaisir et son jeu de changement
d’identité. Surtout, le récit a l’intelligence
de ne pas s’embarquer sur les futures préférences
sexuelles de ces enfants. Il les considère tels qu’ils
sont, dans leur présent, et non pas comme des adultes en devenir.
La petite sœur est très féminine (jusqu’au
cliché, mais elle est tellement vraie !), les garçons
jouent à être des hommes mais ils ont aussi ce qui est
propre aux enfants, l’insouciance et la cruauté, la spontanéité
et l’intolérance… Et Laure/Mickaël, avec ses
silences, ses demi-sourires, ses regards profonds, garde son mystère,
elle est touchante parce qu’elle ne donne pas d’explications.
Les enfants sont tous pris pour ce qu’ils sont, des personnes
à part entière, avec leurs désirs, leurs doutes,
leurs préférences….
En plus de leur justesse de ton (formidable direction d’acteurs,
ou casting génial, ou bien encore du temps passé à
ce qu’il naisse de la complicité entre eux, peut-être
un peu de tout cela…), il y a une grande douceur donnée
par la mise en scène, reposant sur une très belle lumière
de fin d’été, des échanges chaleureux entre
les enfants et les parents, des choix assumés pour faire durer
certaines scènes en leur donnant du temps et de l’espace,
une ambiance sonore particulière où le calme prédomine
et où les éclats de voix lorsqu’ils jaillissent
ont une vraie signification.
Jeanne Moreau, il y a deux ans, avait offert son césar d’honneur
(qui lui avait été remis pour ses soixante ans de cinéma)
à Céline Sciamma, pour attirer l’attention sur
la jeune réalisatrice. C’était drôlement
bien vu…