Après "Oslo
31 août", très bien vu de la critique, fort
intéressant dans sa forme, mais aussi poseur, nombriliste
et pour finir, légèrement ennuyeux, qu'allait faire
Joachim Trier ? En délaissant son acteur fétiche (Anders
Danielsen Lie) et en tournant avec des stars internationales, en
allant poser ses caméras aux Etats Unis, on pouvait craindre
une banalisation de son cinéma.
Il n'en est rien. Le réalisateur a fabriqué un film
incroyablement dense, abordant plusieurs thèmes à
la fois, choisissant sciemment d'éclairer certains aspects
de son histoire et d'en laisser d'autres dans l'ombre, laissant
planer une certaine ambiguïté. Au spectateur de faire
une partie du travail et comme il est beaucoup question de famille,
les interprétations, psychologiques, psychanalytiques ou
d'un tout autre genre, peuvent varier de l'un à l'autre et
dépendre aussi du moment où l'on réceptionne
les images, les mots, les regards, les pensées de chacun
des personnages.
Le scénario en effet s'intéresse à de nombreux
points de vue, glissant avec aisance sur une trame temporelle multiple,
revient sur des évènements, les éclairant ou
les remettant en cause. Les rêves, qui peuvent aussi être
vus comme d'autres façons d'expliquer ou de brouiller la
réalité, ne sont pas traités d'une façon
radicalement différente du reste. Film à voir, et
à revoir, certainement, pour y découvrir d'autres
fulgurances, des secrets, des beautés aussi : l'ensemble
n'est pas qu'un labyrinthe scénaristique complexe, il est
aussi formellement très fluide, et malgré la lourdeur
du propos, très plaisant à recevoir.
Le titre original, "Plus fort que les bombes", abandonné
en raison des attentats de novembre, ne semblait s'attacher qu'à
un aspect du récit, celui du reportage de guerre. Le titre
retenu finalement, ce "retour à la maison" mais
bien d'autres choses encore (ma grande connaissance de la langue
anglaise me donne l'occasion d'en saisir toutes les subtilités…ou
pas ;-) ), est beaucoup plus universel, reflétant de façon
subtile toute la complexité de l'œuvre. En sortant de
la projection, difficile de ne pas penser à un livre récent
de Jeanne Benameur "Otages
intimes", qui aborde certains thèmes du film, dont
ce "retour à la maison", mais aussi les raisons
intimes (justement !) de choisir le métier de photographe
de guerre, et les dégâts collatéraux qui ne
manquent pas de se produire sur les proches.