L'inattendu au coeur d'une scène

 
 

Dans "la permission de minuit", Delphine Gleize a la bonne idée de réunir deux acteurs qui se connaissent bien et entre qui il se passe toujours quelque chose (à l’écran).
Dans cette scène, ils s’engueulent, comme ils l’ont déjà fait dans d’autres films, comme ils l’ont déjà peut-être même vécu pour de vrai, allez savoir. Mais ici, il se passe un truc, un petit raté sans doute qui en enchaîne un autre, une de ces choses qu’on ne garde pas, allez on la refait, scène de l’engueulade, quatorzième, clap !
Sauf que là, Delphine Gleize a un coup de génie, on la garde, on ne la met même pas dans les bonus du DVD, on la met dans le film, ce sera le clou de la scène.
Vincent Lindon, dans la vie, bégaye. C’est de notoriété publique. Mais pas devant les caméras de cinéma. Tourner une scène lui coupe son bégaiement. Si le roi George VI avait su cela, on aurait pu éviter un film à oscars un peu académique, mais on s’écarte du sujet et puis quand George VI apprenait à parler correctement, Vincent Lindon n’était probablement pas né. D’ailleurs pas probablement, pas né tout court.
Bref, tout ça pour dire que dans un film, vous n’entendrez pas Lindon bégayer. Et là, écoutez, au plus fort de sa colère, "alors c’est pas une chieuse comme vous, qui va m’, qui va m’, qui va m’,qui va m’donner des leçons…" De rage, il s’en va. Peut-être en est-il à sa vingtième prise, peut-être est-ce sa première, il n’empêche, on s’en fout de l’histoire, il bégaye, et comme le personnage ne le fait pas, c’est complètement surprenant. Et ce n’est pas fini. Cela entraîne une réaction mi étonnée, mi amusée d’Emmanuelle Devos, en tous cas entièrement émue et attendrie. Elle esquisse un sourire, alors qu’elle vient de se faire traiter de chieuse. Son regard est beau, tout simplement. Cette scène, c’est du pur plaisir. Parce que l’acteur a débordé son personnage à moins que ça ne soit le contraire, et que l’actrice a senti qu’il se passait quelque chose, et que pour la relation entre les deux, ça lui donne un supplément d’âme. J’adore le cinéma aussi pour ça. Pour ces imprévus, pour ces regards qui donnent à voir autre chose que ce qu’on entend. Je donne toute la saga de Star Wars contre ces quelques secondes de bonheur…