Les confins

Septembre 2013

 

J'aime bien les courts métrages. Inventifs, spectaculaires, mordants (ou pas), condamnés à imposer une ambiance en quelques minutes. Malheureusement, en ces temps sinistres où le libéralisme gagne sur tous les plans, la pub règne en maîtresse insatiable dans les cinémas, avant le film. Il fut un temps où on avait droit aux bandes annonces, puis aux pubs, ou vice versa. Maintenant, tout est mélangé, la bande annonce devient donc une réclame comme une autre (oui, réclame, vous vous souvenez, ça s'appelait comme ça, avant).
Bref, le court métrage n'a plus droit de cité au cinéma, ou bien rarement, ou bien lors d'un festival dédié.
Une bonne partie de cet été, sur les écrans parisiens et peut-être d'autres, nous avons eu le privilège de goûter à "Je m'appelle Nathan", puis de le subir. D'après une chanson de Caliméro (à moins que ça ne soit Calogéro, je les confonds souvent), c'est un joli film d'animation de deux minutes qui resterait joli si la fois d'après, il laissait sa place à un autre. Mais de séance en séance, de semaine en semaine, après l'annonce "le retour des courts métrages"… chouette !... le titre apparaît… "Je m'appelle Nathan" … ah, non, encore, pitié…
Au bout de dix visions et même avant, ça devient insupportable et on se met à compter les cubes sur le parquet. Il n'y a pas de parquet dans les salles de cinéma, c'est dans le film…


Je m'appelle Nathan

 

Et donc… (tout ça pour ça !) en cette fin d'été, un nouveau court métrage est venu remplacer Nathan et son oiseau, "la légende de Shalimar". Trop génial !
Sauf que… de court métrage, point. C'est une pub. Une méga pub de cinq minutes, pour un parfum de Guerlain, vachement connu et vachement vieux (datant des années 20 !).
Et comme Nathan, à chaque séance on y a droit.
La pub commence avec une phrase écrite blanc sur noir… "il y a 400 ans, aux confins de l'Inde…"
Moi, les confins, ça me fait hurler de rire.
Intérieurement, faut pas pousser non plus.
Mais hurler quand même.
Les confins, ça vous évoque quoi ? C'est le genre de mot à la noix pour évoquer un endroit lointain, un peu mystérieux, inexploré… Avec l'Inde et il y a 400 ans, ça le fait. Parce que "il y a 2 ans, aux confins de la Picardie…" c'est un peu moins évocateur. Quoique.
Mais bon, c'est l'Inde, et c'est il y a 400 ans. Regardez la pub, si vous ne la connaissez pas encore.

 

Qu'en dites-vous ? C'est con comme la lune ? C'est quand même vachement bien fait ? Le truc qui sort de l'eau, on l' a déjà vu quelque part ? (ben oui, c'est le Taj Mahal, en Inde justement) La fille est tout de même très jolie ? (c'est un mannequin très connu, semble-t-il) C'est bizarre que la barque ne soit pas ballottée par les vagues ? (ah, ben oui, c'est bizarre, c'est une erreur, non ? Non ? ah, oui, c'est vrai que ça aurait fait un peu couillon, la fille qui a du mal à rester debout, genre métro sur la ligne 1 avant d'arriver à Bastille)
Et le gars, là, on l'aurait pas déjà vu quelque part ?
(ce qui est assez drôle, c'est que ce même gars, très reconnaissable, on le retrouve quelques minutes plus tard sur un canapé très parisien dans le très médiocre film "Grand départ", dans un rôle d'homo très caricatural)

 

Bon, voilà, Shalimar et sa légende, c'est à la fois tarte à souhait et super spectaculaire et puis les yeux de la fille… (oui, pas que ses yeux, je sais)
Mais les confins… les confins… Je ne sais pas si c'est psychanalytique ou autre, mais pour moi, les confins, ça peut s'entendre en deux mots… Vous voyez ? En plus, ça cadre avec les territoires mystérieux. Des cons fins aux grosses bites (oh !!! quand même, al1, il y a peut-être des enfants qui lisent ! Euh…oui, et alors ?), il n'y a qu'un pas (ou autre chose qu'un pas, mais on ne va pas rentrer dans les détails) (et quand je dis rentrer…)
Bon, on glisse, là.
Mais glisser aux confins (ou dans les confins), quel délice… ;-)
A ce propos, à 3.51 dans la pub, ne loupez pas LE moment érotique : la fille se mord les lèvres, un p'tit plaisir de confins ?
A la toute fin du film, elle se retourne vers nous, envoie un petit sourire dans le genre "c'est trop chou, ton cadeau".
Et de quoi on a l'air, nous, bordel ?
Le prince lui a offert un palais qui sort de l'eau (au passage, si c'est pas phallique, ça, toutes ces colonnes qui transpercent la pureté de l'eau…). Pas une jolie maison, non. Un palais ! (ce serait de nos jours, elle s'écrierait "allo, le palais, quoi !")
Et nous, qu'est-ce qu'on fait ? Qu'est-ce qu'elles vont dire, les filles quand on arrivera avec nos pauv' fleurs ?
On peut pas lutter.
Tant pis pour les confins.

Vos commentaires !

Cette pub est en effet très discutée, même par les afficionados de Shalimar. Les gens en général désapprouvent le choix de Natalia Vodianova, qui comme belle indienne se pose là, en effet... Guerlain l’a choisie depuis 2008 comme égérie de Shalimar, en particulier pour une série de photos où elle fait plus femme-enfant que femme fatale, ce qui peut paraître un contre-sens pour ce magnifique oriental qu’est Shalimar.

 

 

Néanmoins il y a une idée intéressante qui n’est pas clairement exprimée dans le film, mais évidente si on y réfléchit :
Le Taj Mahal est un mausolée, et non un palais, construit après la mort de la belle Mumtaz Mahal, et ici le départ de la belle sur un bateau rappelle fortement la barque qui emporte les morts vers un autre monde (comme cela existe dans une flopée de religions). L’air un peu triste des amants, le regard inquiet qu’elle lance à son chéri quand elle monte dans la barque, semblent renforcer cette idée. Ainsi que le fait qu’elle soit vêtue de blanc, “couleur” du deuil en Inde. Et les teintes choisies pour le décor naturel sont bien éloignées aussi de la palette de couleurs vives de Bollywood ! Du coup, même son œil qui s’ouvre au tout début, ses doigts inertes qui se mettent à bouger, le bain et les onguents, tout cela pourrait être lu comme des indices nous montrant qu’en fait elle est morte.
J’ai trouvé tout cela un joli clin d’œil, et cela m’a réconciliée avec cette pub, au demeurant fort commerciale.
Bon, pour finir de te convaincre, une bloggeuse proche du monde du parfum a posé la question au réalisateur, Bruno Aveillan, et il a reconnu que parmi ses sources d’inspiration pour le film il y a ceci :

L'île des morts de Arnold Böcklin !
Anne K.