Le cinéma de Philippe
Mars 2006
Tout a commencé par un appel, il y a un an à peu près, d'un agent que je connais (on disait impresario autrefois), qui me dit : "Philippe cela vous tenterait de jouer le rôle d'un chef d'orchestre pour un long métrage ?". Réponse évidente : "Pourquoi pas ?" (toute expérience artistique est bonne à prendre, et puis cela fait des sous et des heures pour mes assedic !).

Je pars donc à la rencontre d'une charmante directrice de casting (court vêtue mais dotée de jolies jambes : vous la verrez dans le film, si vous y allez, puisqu'elle s'est "castée" dans le rôle de la directrice de la rédaction de "Toi & Moi).

Après avoir passé les essais, elle me dit qu’elle me verrait bien dans le rôle du violoniste, ce à quoi je lui réponds que pourquoi pas, mais qu'il y a juste un tout petit problème, c'est que je ne joue pas de violon ! Elle me répond que compte tenu que c'est un orchestre symphonique et que je suis un grand professionnel (et là on dit merci à l'agent qui a préparé le terrain) cela ne devrait pas poser de problèmes.

Quelques temps plus tard, l'agent m'appelle pour me dire que j'ai décroché le rôle du violoniste. Et puis, catastrophe, problèmes budgétaires, l'orchestre symphonique est devenu orchestre de chambre (heureusement que je n'avais pas décroché le rôle du chef d'orchestre !) et la réalisatrice demande donc à avoir un vrai violoniste. L'agent intervient en disant que cela fait 3 semaines que je travaille mon violon quatre heures par jour (en réalité, je ne m'y suis pas encore mis) et finit par emporter le morceau. J'ai donc 15 jours pour apprendre à jouer du violon. Heureusement, j'ai quelques connaissances musicales et des copains qui acceptent de me donner des cours pour essayer de ressembler de façon crédible à un instrumentiste acceptable.

Signature de contrat, visite médicale car ayant un rôle parlé et plus de trois jours de tournage, je suis assuré (comme les jambes de Zidane ou la tête de Claudia Schiffer, sauf que moi c'est tout qui est assuré !), et me voilà un matin à 8h00 salle Gaveau accueilli par le troisième assistant réalisateur qui me présente au deuxième assistant réalisateur, à la chef costumière, à la chef maquilleuse mais pas à la chef coiffeuse en disant, et là je n'ai pas compris pourquoi, que cela ne serait pas nécessaire. Je croise pour la première fois Marion (permettez-moi d'appeler par son prénom celle que désormais je tutoie et à qui je fais la bise). Elle m'accueille aussi chaleureusement que le fait un fonctionnaire de police que vous venez réveiller à trois heures du matin parce que votre voisin fait du tapage nocturne, mais je m'en fiche, je fais désormais partie de la grande famille du cinéma !

Et me voici donc assis au deuxième rang des seconds violons (retrouvant avec plaisir un musicien que j'avais dirigé il y a quelques temps dans une Passion selon Saint Jean, que je préviens de ma situation et à qui je demande de l'aide car mes quinze jours de travail n'ont tout de même pas fait de moi un violoniste hors pair). Je fais la connaissance beaucoup moins sympathique du violon solo du projet, celui qu’Alain appelle le petit gros dans sa chronique. Ce désagréable monsieur est violon solo à l'opéra de Paris dans le civil et se place dès le début dans une relation de concurrence avec moi parce que, j'imagine, nous sommes les deux musiciens du film à avoir un rôle (en assistant à la projection du film, j'ai constaté sans déplaisir que "sa" grande scène avait été coupée au montage... Bien fait !).

Je savais que Louis Jouvet disait que le plus dur au cinéma c'était de trouver une chaise. J'ai donc la chance pour cette première journée d'être assis et, passé la première heure où je "flippe comme une bête" à cause du violon, je commence à trouver mes marques, à devenir copain avec tous les corps de métier et à essayer de comprendre comment cela marche...

La deuxième journée est MA journée, puisque c'est celle où je dois tourner avec Marion. Démarrage à 9h00, tournage de ma scène... vers 16h00. On s'occupe en allant au buffet, et en continuant à discuter avec tous les techniciens parce que je sais par expérience que c'est avec eux que je vais le plus apprendre sur le métier. Ils sont tous très pros et très sympas (sauf les assistants réalisateurs qui voient dans leur titre le mot "réalisateur", alors qu'ils sont en fait "assistants" et que leur rôle consiste essentiellement à vérifier que tu n'es pas parti aux toilettes alors que c'est à toi de tourner !).

Le tournage de la scène avec Marion est en fait assez facile. Elle est très impressionnante : elle dégage vraiment quelque chose. Elle apporte une grande densité à tout ce qu'elle fait dès qu'il y a une caméra. Et, c'est là qu'on reconnaît la professionnelle, elle est aussi impliquée quand elle est dans le champ, qu'en contre-champ...

Il ne reste plus que deux jours de tournage ensuite (la scène du cocktail : une journée de boulot pour 3,5 secondes à l'écran ; la dernière séance d'orchestre où je découvre le matin en arrivant que je dois jouer une partition que la production a malencontreusement oublié de m'envoyer...).


Et voilà toute ma folle expérience. Si je n'en ai pas parlé, c'était un peu par superstition : vais-je être coupé au montage, vais-je être mauvais comme un cochon ?

A la projection j'ai vu que je n'avais pas été coupé au montage. Je ne sais toujours pas si j'étais bon, tellement c'est insupportable de se voir, mais voilà maintenant cette expérience ne m'appartient plus...

Philippe L.    14 mars 2006 retour à la chronique