On frôle le chef d’œuvre, il y a de la graine de splendeur dans ce film. Le réalisateur, déjà auteur du très beau Respiro, ne cherche pas la reconstitution historique. Le dispositif, les décors et les costumes font souvent penser au registre du théâtre. Chaque scène est chorégraphiée, étudiée pour que le sens surgisse de la confrontation des corps, des masses de personnages (superbes scènes du bateau qui s’éloigne du quai, de la tempête vue de l’intérieur du navire, des rivières de lait...).
Ambitieuse esthétiquement, la mise en scène installe un véritable langage cinématographique original, qui peut heurter un spectateur ayant une attente historique conventionnelle. Trois parties bien distinctes, comme autant d’actes d’une tragédie : le pays d’origine, où la misère n’est pas exposée de façon spectaculaire, mais par un ensemble de petites touches symboliques, dans une campagne brumeuse et désertique. Puis vient le voyage, odyssée immobile à deux choeurs, les hommes et les femmes séparés et comme emprisonnés, se retrouvant sur le pont du bateau pour de courts instants de respiration. Enfin, l’attente à Ellis Island, où sont mis en quarantaine les candidats au nouveau monde. C’est là probablement que le parti-pris du réalisateur se révèle le plus efficace : très documenté sur les petites histoires de chacun, sur les destinées personnelles, et en même temps de plus en plus stylisé, le film atteint sa plénitude, et une universalité de propos. Il ne s’agit plus seulement des immigrants italiens du début du 20ème siècle, mais dans une certaine mesure, des réfugiés du monde entier, leur douleur et leurs espoirs mêlés.
Bien sûr, toutes les scènes n’ont pas le même poids, mais la force et la beauté prédominent, au détriment parfois de l’émotion; qu’importe, c’est un film d’une grande créativité, denrée rare au cinéma ces temps-ci.