A défaut d’école roumaine de cinéma, ou de nouvelle vague venue de l’est, il y a bien du côté de Bucarest, une inspiration commune qui puise ses sujets dans la misère sociale. Entre cette hallucinante description du calvaire de deux jeunes filles pour que l’une d’elle puisse avorter, et le non moins hallucinant voyage de Dante Lazarescu vers sa mort programmée, il y a eu la révolution contre le régime de Ceausescu. Celle-ci paraît avoir apporté un indéniable progrès matériel, mais en ce qui concerne les rapports humains, rien ne semble avoir changé.
Pour parler du film de Mungiu, palme d’or à Cannes, il faut réussir à prendre un certain recul, un peu de détachement. La force profonde du film le permet difficilement.
Techniquement, c’est d’une très grande précision, cadré en CinémaScope, permettant des plans larges immobiles ou presque, d’une froideur grise oppressante, alternant avec des instants caméra à l’épaule qui donnent une impression d’urgence, d'affolement, de nervosité extrême.
Les longs plans-séquences, virtuoses, enferment le spectateur dans l’action, on ne peut qu’être happé par le récit. Le personnage d’Ottila, littéralement habité par l’actrice Anamaria Marinca, présente à l’image presque de façon continuelle, est absolument hypnotisant. On a peur comme elle, on court, on marche, on souffre comme elle, on finit par respirer comme elle. Ce personnage, fort et fragile, splendide d’obstination et de volonté, parvient à rendre le film universel, ce n’est plus seulement une histoire roumaine du temps de la dictature, c’est aussi celle d’une lutte constante et désespérée de la part d’une jeune fille à l'intérieur de la société des hommes.
Lourde, dense, marquante, 4 mois, 3 semaines, 2 jours est l’une de ces oeuvres qui vous laisse sans voix, comme anéanti. Le cinéma, lorsqu’il est porté par une telle force, a le pouvoir de changer (un peu) le monde.
Longue vie à Ottila...