Il n'y a pas que le cinéma dans la vie !!!

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de Roberto Bolaño
adaptation et mise en scène Julien Gosselin / Cie Si vous pouviez lécher mon cœur

Dimanche 16 octobre 2016

 

 

Hommage à l'obscurité

Spectacle fleuve. Enorme par sa durée, son ambition, les moyens mis en œuvre… L'attente, en tant que spectateur, est aussi énorme, toutes proportions gardées. Qu'en reste-t-il, onze heures plus tard, pauses comprises ? La longueur n'est pas un frein, on ne voit pas, au final, le temps passer. Mais l'aspect obscur du récit est parfois très rebutant, pas éclairci par une mise en scène privilégiant les effets (sonores et visuels) au détriment de la clarté de l'histoire.

 

L'histoire, parlons-en… peut-on vraiment parler d'intrigues, au singulier comme au pluriel ? Un jeu sentimental entre quatre personnages, unis par la passion commune autour d'un écrivain mystérieux… La folie d'un homme, philosophe et père d'une fille abandonné par sa mère, qui suspend un livre sur une corde à linge… Cette même fille devenue adulte qui tombe amoureuse (?) d'un journaliste qui vient lui-même de perdre sa mère… Des centaines d'assassinats de femmes commis dans une ville, pour la plupart non élucidés… Le destin de l'écrivain mystérieux, de sa naissance à sa mort…

 

 

Cinq chapitres, cinq "histoires" qui se croisent parfois, essentiellement dans la ville où se sont passés les meurtres, qui partent en digressions qui sont autant de raisons de se perdre, mais toutes se rejoignent sur un point, la noirceur. Le Monde va mal, merci, le spectacle ne nous l'apprend pas vraiment, ça n'est pas tout à fait une surprise… la lumière que l'on retrouve à chacune des pauses entre les cinq parties fait du bien, autant parce qu'elle permet au spectateur de souffler au milieu de tant d'horreurs, mais aussi parce qu'elle permet, parfois, de façon incomplète toutefois, de recoller les morceaux, de relier tel ou tel personnage à quelque chose qu'on a cru deviner…

 

 

La mise en scène use et abuse de la vidéo, jusqu'à ce que celle-ci ne soit plus qu'un procédé. Lorsqu'un personnage (secondaire) est interviewé, et que l'interrogatoire est filmé, il est bien évidemment intéressant de voir le film tourné en direct (projeté sur un écran géant, au-dessus de la scène), pour saisir les expressions du visage de la personne filmée, pendant que sur scène, les corps s'agitent ou prennent des postures qui donnent à voir sur ce qui se joue. Mais lorsque pendant plusieurs dizaines de minutes, l'action (si on peut véritablement parler d'action… pas sûr du tout !) est reléguée en fond de scène, derrière des baies vitrées, pendant qu'au premier plan, d'autres personnages en mouvement attirent l'œil, et que l'action du fond de scène est filmée elle aussi en direct et projetée sur un ou plusieurs écrans, il est bien difficile de saisir l'utilité de ce procédé complexe. Lorsqu'un personnage lointain n'intervient que par Skype, on comprend tout à fait l'intervention de la projection vidéo (un petit coucou de Macaigne…) mais quand des lettres sont envoyées et que celles-ci sont dites par le personnage féminin les ayant écrites, filmée en gros plan alors qu'elle reste tout en fond de scène pendant que sur le devant, il ne se passe presque rien (l'homme qui reçoit les lettres et donc censé les lire est lui aussi en fond de scène, vaguement effondré sur une table), on est en droit de se demander si tout cela est vraiment du théâtre…

 

 

Qu'apporte la vidéo précisément ? Un certain recul ? Une façon de saisir des expressions du visage ? L'aspect spectaculaire qui en découle noie le propos, gomme les émotions possibles. C'est un choix fort, un parti-pris puissant, mais qui n'atteint pas grand-chose. D'autant plus qu'il reste, tout de même, des scènes véritablement théâtrales, avec des acteurs visibles à l'œil nu (ouf !) et qui ont une présence parfois magnifique, troublante, lumineuse ou terriblement sombre… quoiqu'il en soit, ces instants font regretter qu'ils ne soient pas plus nombreux. Du coup, au salut final, la performance de ces acteurs ne semble pas si énorme. Neuf heures de spectacle effectif, mais dans une scénographie très statique, répétitive, qui fait la part belle aux images et ne transforme pas l'œuvre de Bolano en un objet théâtral. Peut-être alors y a-t-il plus à chercher du côté d'une installation artistique, d'une performance technique, de la volonté de rendre hommage, sans l'éclairer, à un roman certes fascinant, mais puissamment obscur.