|
Hommage
à l'obscurité
Spectacle
fleuve. Enorme par sa durée, son ambition,
les moyens mis en œuvre… L'attente, en
tant que spectateur, est aussi énorme, toutes
proportions gardées. Qu'en reste-t-il, onze
heures plus tard, pauses comprises ? La longueur n'est
pas un frein, on ne voit pas, au final, le temps passer.
Mais l'aspect obscur du récit est parfois très
rebutant, pas éclairci par une mise en scène
privilégiant les effets (sonores et visuels)
au détriment de la clarté de l'histoire.
|
|
L'histoire,
parlons-en… peut-on vraiment parler d'intrigues,
au singulier comme au pluriel ? Un jeu sentimental
entre quatre personnages, unis par la passion commune
autour d'un écrivain mystérieux…
La folie d'un homme, philosophe et père d'une
fille abandonné par sa mère, qui suspend
un livre sur une corde à linge… Cette
même fille devenue adulte qui tombe amoureuse
(?) d'un journaliste qui vient lui-même de perdre
sa mère… Des centaines d'assassinats
de femmes commis dans une ville, pour la plupart non
élucidés… Le destin de l'écrivain
mystérieux, de sa naissance à sa mort…
|
|
Cinq
chapitres, cinq "histoires" qui se croisent
parfois, essentiellement dans la ville où se
sont passés les meurtres, qui partent en digressions
qui sont autant de raisons de se perdre, mais toutes
se rejoignent sur un point, la noirceur. Le Monde
va mal, merci, le spectacle ne nous l'apprend pas
vraiment, ça n'est pas tout à fait une
surprise… la lumière que l'on retrouve
à chacune des pauses entre les cinq parties
fait du bien, autant parce qu'elle permet au spectateur
de souffler au milieu de tant d'horreurs, mais aussi
parce qu'elle permet, parfois, de façon incomplète
toutefois, de recoller les morceaux, de relier tel
ou tel personnage à quelque chose qu'on a cru
deviner…
|
|
La
mise en scène use et abuse de la vidéo,
jusqu'à ce que celle-ci ne soit plus qu'un
procédé. Lorsqu'un personnage (secondaire)
est interviewé, et que l'interrogatoire est
filmé, il est bien évidemment intéressant
de voir le film tourné en direct (projeté
sur un écran géant, au-dessus de la
scène), pour saisir les expressions du visage
de la personne filmée, pendant que sur scène,
les corps s'agitent ou prennent des postures qui
donnent à voir sur ce qui se joue. Mais lorsque
pendant plusieurs dizaines de minutes, l'action
(si on peut véritablement parler d'action…
pas sûr du tout !) est reléguée
en fond de scène, derrière des baies
vitrées, pendant qu'au premier plan, d'autres
personnages en mouvement attirent l'œil, et
que l'action du fond de scène est filmée
elle aussi en direct et projetée sur un ou
plusieurs écrans, il est bien difficile de
saisir l'utilité de ce procédé
complexe. Lorsqu'un personnage lointain n'intervient
que par Skype, on comprend tout à fait l'intervention
de la projection vidéo (un petit coucou de
Macaigne…) mais quand des lettres sont envoyées
et que celles-ci sont dites par le personnage féminin
les ayant écrites, filmée en gros
plan alors qu'elle reste tout en fond de scène
pendant que sur le devant, il ne se passe presque
rien (l'homme qui reçoit les lettres et donc
censé les lire est lui aussi en fond de scène,
vaguement effondré sur une table), on est
en droit de se demander si tout cela est vraiment
du théâtre…
|
|
Qu'apporte
la vidéo précisément ? Un certain
recul ? Une façon de saisir des expressions
du visage ? L'aspect spectaculaire qui en découle
noie le propos, gomme les émotions possibles.
C'est un choix fort, un parti-pris puissant, mais
qui n'atteint pas grand-chose. D'autant plus qu'il
reste, tout de même, des scènes véritablement
théâtrales, avec des acteurs visibles
à l'œil nu (ouf !) et qui ont une présence
parfois magnifique, troublante, lumineuse ou terriblement
sombre… quoiqu'il en soit, ces instants font
regretter qu'ils ne soient pas plus nombreux. Du
coup, au salut final, la performance de ces acteurs
ne semble pas si énorme. Neuf heures de spectacle
effectif, mais dans une scénographie très
statique, répétitive, qui fait la
part belle aux images et ne transforme pas l'œuvre
de Bolano en un objet théâtral. Peut-être
alors y a-t-il plus à chercher du côté
d'une installation artistique, d'une performance
technique, de la volonté de rendre hommage,
sans l'éclairer, à un roman certes
fascinant, mais puissamment obscur.
|
|
|