Cyrano sans
artifices
Et
si Monsieur de Bergerac n'était que le produit des hallucinations
d'un homme, de sa folie, de son ennui et de son dégoût
pour l'existence ? Ou bien, tout à fait différemment,
si au sein d'une maison de fous, ou d'une prison, ou d'un asile de vieux,
ou de n'importe quel endroit abritant des exclus de la société
des Hommes, les pensionnaires décidaient sans tout à fait
le vouloir, sans en être parfaitement conscients, pris dans leur
escalade imaginaire, d'inventer un nouveau Cyrano, en gardant les mots,
en faisant d'un fer à repasser une arme, de quelques tables une
scène, d'un juke-box branlant un orchestre, d'un lit à
roulettes un champ de bataille…
Et si on se passait de costumes et de décors… c'est là
toute la puissance du théâtre.
Et si… on jouait Cyrano ? Et pourquoi pas, il suffit de presque
rien et du talent des acteurs, et de faire confiance aux mots.
Torreton est énorme dans le rôle titre, diction parfaite,
présence de tous les instants, nez vivant, énergie communicative,
intelligence du texte, une façon de rompre la musique de l'alexandrin
en gardant la beauté des formulations, c'est un beau travail,
que dis-je, un beau travail, une performance magnifique ! Autour de
lui, la distribution est inégale, entre Roxane à la fois
lumineuse, espiègle, belle et émouvante… et Le Bret
falot, ramant péniblement derrière Cyrano (mais le rôle
est ingrat).
Presque trois heures de spectacle, et pas une minute de trop, pas un
instant de lassitude, Dominique Pitoiset donne à la pièce
une formidable jeunesse, une modernité électrisante, en
revisitant les passages obligés, comme cette incroyable scène
du balcon, qui peut être si lourde, statique et d'un romantisme
éculé et qui ici, par la grâce d'un macbook et d'un
écran, prend un aspect complètement contemporain et devient,
c'est un prodige, à la fois drôle et émouvante.
C'est d'ailleurs tout le charme de cette relecture de l'œuvre,
dans son ensemble : parfois poussée jusqu'à la farce,
puisqu'on peut imaginer que ce sont des fous qui s'amusent à
jouer, la pièce fait passer du rire aux larmes, parfois dans
la même minute.
Chapeau, le panache est là, et bien là.
Pour
réserver... c'est jusqu'au 28 juin 2014 au théâtre
de l'Odéon à Paris