Il n'y a pas que le cinéma dans la vie !!!

Le faiseur, de Balzac

Mise en scène : Emmanuel Demarcy-Mota

Lundi 14 avril 2014

 

 

 

Voilà un spectacle formidable, intelligent, dont on sort nourri d'images et de mots. Tout le monde loue l'idée d'Emmanuel Demarcy-Mota d'avoir sorti des oubliettes la pièce de Balzac mais encore fallait-il la parer d'une mise en scène capable d'intéresser un spectateur du vingt-et-unième siècle. Pari réussi, et même au-delà des espérances : la pièce prend un aspect étrangement contemporain. On peut se demander si ce que l'on a vu n'est pas une adaptation, quelque chose qui collerait au mieux à l'esprit actuel. Que nenni, c'est le texte, avec quelques coupures mais aucun rajout…

 

 

La troupe apporte toute son énergie et son plaisir du jeu : il y a là quelque chose de juvénile malgré l'âge des comédiens et en même temps de l'expérience et une belle habitude de jouer ensemble. Ils se connaissent et montent des pièces depuis plus de dix ans : l'inégalité d'interprétation que l'on ressent parfois lors de spectacles dans d'autres lieux n'existe pas ici, chacun exprime une personnalité dans sa façon de jouer et pourtant il y a une belle homogénéité. Serge Maggiani, dans le rôle de Marcadet, ruiné mais qui emprunte encore, est stupéfiant, donnant à son personnage un formidable mélange de roublardise et de prestance, autoritaire et faussement plaintif, jouant de sa voix comme une liane, de son corps comme un roc sans cesse brisé, sans cesse se recomposant. Il est incroyable et pourtant il n'écrase pas les autres…

 

 

Les presque deux heures passent à toute vitesse, malgré la complexité des rouages de l'action et les nombreuses explications financières qui en d'autres circonstances pourraient ennuyer. Impossible de décrocher, la mise en scène est d'une inventivité constante, les surprises et les effets se succèdent, jamais gratuits : lorsque la troupe reprend "Money" des Pink Floyd, on est en plein dans le sujet; les portes qui peuvent être aussi des trappes où l'on disparaît, le plateau mouvant, obligeant les acteurs à des prouesses d'équilibre, c'est bien le monde où l'on vit, où chacun peut glisser, se faire éjecter sans ménagements. Drôle, cruel, ironique, implacable mais aussi capable de quelques moments de pur romantisme, l'ensemble est un régal. On cherche vainement ce qui ne va pas, c'est du théâtre moderne avec pourtant beaucoup de respect pour la tradition et pour le texte : tout est parfaitement audible, impeccablement articulé, sans aucune vocifération, sans étalage de tripes incongru, mais avec des passions vibrantes. C'est du beau travail, vraiment.

 

Vu au théâtre des Abbesses le 11 avril 2014

Probablement repris en 2015 !