Il n'y a pas que le cinéma dans la vie !!!

Le Misanthrope

Mise en scène : Jean-François Sivadier

Samedi 22 mars 2014

 

 

 

 

"Et c'est n'estimer rien qu'estimer…"
L'acteur fait mine de s'arrêter et une partie du public, beaucoup d'adolescents aussi crétins qu'on peut l'être à cet âge, terminent en cœur l'alexandrin… : "tout le monde".
Molière en mode guignol, passe encore pour Scapin, mais pour Alceste…

Le décor est pourtant magnifique, sorte de no man's land au sol jonché d'une matière noirâtre en poudre grossière, dans laquelle on trace des chemins, ou qu'on pousse pour faire place nette. Des portants, quelques tissus, des petits lumignons, des fontaines, des chaises empilées en vrac, un sacré bordel, comme l'esprit d'Alceste au début de la pièce, qui se demande s'il va rester dans ce monde qu'il hait, mais il y a Célimène qu'il aime sans comprendre pourquoi, elle qui représente si bien les vices du temps…

Mais où est passée l'émotion ? La tempête des sentiments n'est qu'extérieure, Alceste joue la colère, l'ironie, la déception, comme si tout cela était tellement connu du public qu'il n'y aurait pas besoin de le ressentir, de le faire entendre. La misanthropie réelle, supposée ou affichée par dépit, n'est ici qu'une façon de paraître détaché du texte. On n'y croit pas, à ces artifices. Les acteurs jouent la plupart du temps face au public, ils ne se regardent pas, ils ne s'écoutent pas. Ils ont l'air de dire aux spectateurs, écoutez ça, mais rapidement, car vous le savez par cœur, on ne va pas le réinventer, ce texte… et ils s'appliquent dans tous les à-côtés, ou juste une partie de ce qu'ils ont à faire. Ainsi, l'entrée d'Oronte, drôle, spectaculaire, ses premières tirades très articulées et accompagnées de très grands gestes bien appuyés, presque du langage des signes. Ça a du sens, c'est très bien vu, et ça fonctionne. Puis le jeu s'éteint, le personnage n'est pas nourri, on a l'impression que le travail n'a porté que sur le début de son intervention…
Tous les petits rajouts, les effets, tout est plutôt bienvenu (euh… non, pas le guignol), mais il manque le principal, une incarnation des personnages.

 

 

Et puis, le pire, c'est sans doute Célimène (au centre sur la photo). Sorte de poissonnière vulgaire même pas jolie, ni belle, ni charmante. Comment Alceste peut-il craquer pour elle ? Oui, on sait bien que "la raison n'est pas ce qui règle l'amour", mais tout de même… Si l'amour que lui porte Alceste n'est pas crédible, la pièce entière ne peut pas fonctionner !
Et pourtant, cette mise en scène de Sivadier avait fait beaucoup parler d'elle, avec une entrée sur un tube des Clash (très bien, d'ailleurs, mais ensuite, rien…) encensée par la presse, en tournée un peu partout. A-t-elle évolué avec le temps ? S'est-elle perdue en route ? C'est peu probable…
Enfin, c'est la preuve que le Misanthrope, malgré la beauté du texte, ça n'est jamais gagné d'avance. Au boulot !

(vu à St Quentin en Yvelines, en cette fin d'hiver...)