"Et c'est
n'estimer rien qu'estimer…"
L'acteur fait mine de s'arrêter et une partie du public,
beaucoup d'adolescents aussi crétins qu'on peut l'être
à cet âge, terminent en cœur l'alexandrin…
: "tout le monde".
Molière en mode guignol, passe encore pour Scapin, mais
pour Alceste…
Le décor est pourtant magnifique, sorte de no man's land
au sol jonché d'une matière noirâtre en poudre
grossière, dans laquelle on trace des chemins, ou qu'on
pousse pour faire place nette. Des portants, quelques tissus,
des petits lumignons, des fontaines, des chaises empilées
en vrac, un sacré bordel, comme l'esprit d'Alceste au début
de la pièce, qui se demande s'il va rester dans ce monde
qu'il hait, mais il y a Célimène qu'il aime sans
comprendre pourquoi, elle qui représente si bien les vices
du temps…
Mais où est passée l'émotion ? La tempête
des sentiments n'est qu'extérieure, Alceste joue la colère,
l'ironie, la déception, comme si tout cela était
tellement connu du public qu'il n'y aurait pas besoin de le ressentir,
de le faire entendre. La misanthropie réelle, supposée
ou affichée par dépit, n'est ici qu'une façon
de paraître détaché du texte. On n'y croit
pas, à ces artifices. Les acteurs jouent la plupart du
temps face au public, ils ne se regardent pas, ils ne s'écoutent
pas. Ils ont l'air de dire aux spectateurs, écoutez ça,
mais rapidement, car vous le savez par cœur, on ne va pas
le réinventer, ce texte… et ils s'appliquent dans
tous les à-côtés, ou juste une partie de ce
qu'ils ont à faire. Ainsi, l'entrée d'Oronte, drôle,
spectaculaire, ses premières tirades très articulées
et accompagnées de très grands gestes bien appuyés,
presque du langage des signes. Ça a du sens, c'est très
bien vu, et ça fonctionne. Puis le jeu s'éteint,
le personnage n'est pas nourri, on a l'impression que le travail
n'a porté que sur le début de son intervention…
Tous les petits rajouts, les effets, tout est plutôt bienvenu
(euh… non, pas le guignol), mais il manque le principal,
une incarnation des personnages.