Fabrice
Luchini est une bête de scène. Il pourrait être
rock star, homme politique réputé pour ses discours,
boxeur flamboyant (là, il lui faudrait d'autres aptitudes),
il a choisi acteur. Il est véritablement incroyable, avec une
énergie intarissable, un sens de le répartie qui renvoie
son interlocuteur dans les cordes, une ironie colérique qui
ne se prend jamais tout à fait au sérieux. Nul besoin
de rentrer dans la peau d'un personnage, il est lui-même tous
les personnages qu'il incarne. Et puis que ce soit au cinéma
ou au théâtre, on va voir et écouter Luchini bien
plus que l'auteur du film ou de la pièce, il pourrait réciter
le bottin, ce serait tout de même drôle et passionnant.
Dans la pièce de Florian Zeller, il est un quinquagénaire
ou sexagénaire qui a besoin de se retrouver seul un petit moment
pour écouter un disque qu'il vient d'acheter. Bien sûr,
il sera dérangé par sa femme qui a quelque chose à
lui dire (en fait, plusieurs), son fils qui fait du hard-rock très
destroy et paraît en révolte contre le monde entier,
sa maîtresse qui est aussi la meilleure amie de sa femme, le
voisin à tendances homos, son meilleur ami qui a aussi quelque
chose à lui dire, le plombier (polonais)… Bref, tous
les archétypes d'une pièce de boulevard pas très
finaude. Et effectivement, l'œuvre de Florian Zeller a beau flirter
avec une étude de mœurs proche de ce que fait Yasmina
Reza, elle ne s'élève jamais. Ce doit être un
plaisir d'incarner ce misanthrope moderne, on imagine Bacri le jouer
aisément, sans avoir besoin de forcer le trait. Luchini est
parfait dans le rôle, il en fait des tonnes, en rajoute encore
et le public est ravi. Ça tourne assez vite au one man show,
ses partenaires n'étant que des faire-valoir… On les
plaint, ces acteurs passés à la moulinette Luchinienne,
qui sont au mieux juste passables (la femme, le voisin), au pire très
mauvais (le fils, le meilleur ami) et pour les autres transparents
(l'amante, le plombier). Mais ils ne peuvent rien faire face à
la tempête.
Luchini se permet même quelques apartés au public qui
n'ont rien à voir avec la pièce, le public est hilare.
Il est venu voir l'Acteur, le Monstre, il en a pour son argent, il
repart content.
L'ensemble est tout de même un peu court, Luchini en donne suffisamment
pour qu'on ne se sente pas floué, mais il y a de sa part un
petit manque de respect pour ses partenaires qui empêche qu'on
soit complètement séduit. Et puis, après ou avant
Céline, La Fontaine ou d'autres auteurs qui font de la véritable
littérature, c'est une grande facilité de dire ce texte
qui enfonce les portes ouvertes et n'apporte pas grand-chose à
la vision de nos contemporains.