Il n'y a pas que le cinéma dans la vie !!!

L'Expo Hopper

Vendredi 18 janvier 2013

Un matin de week-end, je me rends chez mon boulanger préféré et j'y trouve une file d'attente d'une bonne vingtaine de mètres… Dans cette rue, c'est impressionnant. Je m'y colle et quelques secondes plus tard, un quidam vient à passer et s'esclaffe "tiens, c'est là, maintenant, l'expo Hopper ?!"
J'aime bien cet humour, très parisien sans doute, un peu en hommage à l'événement culturel, un peu de moquerie envers ceux qui poireautent devant une boulangerie alors qu'il y en a une autre à cinquante mètres (mais qui n'affiche jamais de queue, c'est étrange, non ?), un peu d'effarement devant ceux qui piétinent des heures (une collègue m'a dit avoir attendu quatre heures avant de rentrer, un après-midi de décembre) pour voir quelques tableaux d'un peintre dont la plupart ignoraient l'existence il y a une dizaine d'années. L'Expo à voir, avec un grand E, c'est terriblement parisien. "Comment, vous n'avez pas vu Hopper ?" (pour la prononciation, on entend de tout, oh peur, ho peur, hou peur, hop aire, oups R, …)
   

Bref, en bon parisien, je suis allé voir l'expo au pair. Même que j'ai fait la queue moins longtemps que pour avoir du pain dans ma boulangerie, quelques jours plus tard. Il faut dire que j'avais réservé… le premier janvier à neuf heures du matin. Comment dire… Une vague impression de fin du Monde en sortant du métro, tant il n'y a personne. Ni piétons, ni voitures, ni bus, rien. Des illuminations anachroniques qui brillent encore sous une toute petite pluie… Et je suis là, avec une amie qui m'est très chère. On pourrait croire qu'on y est, dans un tableau de Hopper. Deux silhouettes fatiguées dans une ville vide.

   

En approchant du Grand Palais, il y a un tout petit peu plus d'animation, il y a même des gens qui attendent, rangés les uns derrière les autres, ça ressemble à une queue, c'est une queue, ce n'est donc pas encore la fin du Monde. Certains se frottent les yeux, se grattent la tête, d'autres ont l'air nettement plus frais, mais finalement, une fois qu'on y est, c'est comme si c'était un samedi après-midi ensoleillé. On est venu voir l'Expo, on va voir l'Expo.

 

 

Et alors ?
Quoi ?
Et bien, l'expo ?
Quoi, l'expo ?
C'était bien ?
Oui, bien sûr, vous voulez que j'en dise quelque chose… mais je n'y connais rien, à la peinture. Je ne réagis qu'aux émotions. (j'ai l'impression d'avoir déjà écrit ça quelque part) (on m'a déjà dit que je m'égarais sur le terme "émotions") (mais bon, on s'éloigne du sujet, là)

   

Alors, Hopper. Ou plutôt l'expo Hopper. J'y vais avec une assez bonne mémoire des tableaux que je vais voir de près. Pour moi, ce sont des images que j'ai découvertes il y a longtemps, des cartes postales à épingler sur un mur, ou à envoyer à quelqu'un qu'on aime, à qui on a envie de dire quelque chose sans trop insister.
Ces images racontaient des histoires, c'étaient des instants suspendus dans une succession d'évènements. Telle femme assise sur son lit plongé dans la lecture d'une lettre me faisait imaginer celui ou celle qui l'avait écrite, cette lettre, et me demander pourquoi avait-elle l'air si triste...

   

J'étais attiré par la BD, et ces images m'y faisaient penser. Peut-être ai-je cru qu'elles étaient extraites d'une BD. Même encore maintenant, pour l'ambiance, pour certains sujets, je trouve des connivences entre les images de Hopper et celles de Loustal. Sauf que...

Si, il y a quand même une différence. Chez Loustal, avec les bulles lorsqu'il y en a, et même lorsqu'il n'y en a pas, on a l'impression que les personnages parlent. Chez Hopper, jamais. C'est le silence. On a toujours l'impression d'un blanc dans la conversation lorsqu'il y a deux personnages. Même les images de ville sont silencieuses. Pas un bruit dans le célèbre café où l'on voit un homme et une femme de face, avec le garçon de café qui les regarde (ou pas) et un autre homme que l'on voit de dos. Enfin, quand je dis "pas un bruit", c'est évidemment une impression (une émotion ?), c'est juste de la peinture, peut-être un autre spectateur du même tableau y entendra le bruit des verres que lave le garçon, et ce même garçon apostropher l'homme et la femme, "je vous ressers autre chose ? je vais bientôt fermer…" La femme pourrait soupirer, l'homme chanter bouche fermée un air triste…

 

Bref, tout ça pour dire que les images de Hopper (on dit d'Hopper ou de Hopper ? ça me titille, je me demande…) ne me laissent pas indifférent, loin de là. Dire que c'est un de mes peintres préférés ne serait pas exagéré.
Et donc, cette expo.
Le début est un peu surprenant, car on y voit essentiellement des tableaux qui ne sont pas de Hopper. Des peintres qui l'ont influencé, ses professeurs… C'est bien expliqué, très pédagogique chic chic. Et puis on voit des illustrations qu'Hopper faisait pour des périodiques, pour gagner sa vie.

     

Des gravures, plus personnelles, et enfin des aquarelles, qu'il a réalisées dans une ville de bord de mer, et qui l'ont fait connaître. Avant cela, pendant plus de dix ans, il n'avait vendu qu'un seul tableau.
Tout cela est assez bien mis en scène, on sent l'artiste qui ronge son frein, prêt à se résigner, tant pis pour ma peinture, au moins je vis avec mes p'tits dessins…

 

 

 

Et là, tout d'un coup, à la suite de la série d'aquarelles, une grande salle avec tout plein de tableaux super connus, et puis une autre, et encore et encore. Et finies les explications. Dommage, j'aurais aimé en savoir un peu plus, sur ses sources d'inspiration, et comment allait la vie pour lui à ce moment-là…
Mais ne faisons pas la fine bouche, on est venus pour voir les tableaux d'Edward Hopper, on est devant (eh eh, pas mal, le coup d'Edward, ça évite "les tableaux de Hopper ou d'Hopper"), profitons-en, ça n'est pas tous les jours qu'on peut voir du Hopper, en vrai.
Ce qui saute aux yeux immédiatement, c'est la lumière. Aucune reproduction n'en rend compte. C'est comme s'il y avait une lampe allumée à l'intérieur des tableaux. Ou bien que le soleil y avait été emprisonné. C'est renversant, de ce point de vue.
Et puis la taille. Ils sont très grands, ces tableaux. Beaucoup plus grands que les cartes postales. Ben évidemment, crème d'andouille, qu'ils sont plus grands, tu croyais quoi ? Oui, bien sûr. Ils sont plus grands. Mais pour moi, Hopper, c'étaient des cartes postales. Et tout à coup, là, bing, ce sont des images d'un mètre de haut. Essayez de poster une carte postale d'un mètre de haut…
J'ai l'impression de connaître tous les tableaux… ah tiens, en voilà un qui me scotche, que je ne connaissais pas, un clown attablé, la clope au bec, une femme au dessus de lui, la bouche très rouge, un couple à droite, un marin (?) à gauche… je trouve l'ensemble très étonnant, la composition dérangeante, comme un cadrage intriguant au cinéma…

 

On se promène parmi ces images, certaines sont hypnotisantes, d'autres pas du tout, comme ce voilier dont les occupants regardent un… machin dans l'eau. Mouais. Aucun intérêt (pour moi...)

D'autres font leur effet, comme ces deux femmes dans un café, chapeautées, éclairées de façon étonnante par la lumière extérieure… que se disent-elles, ou plutôt que viennent-elles de se dire ?…

Ou bien encore ce couple, elle au piano mais pas vraiment, lui plongé dans son journal… viennent-ils de se disputer ? Ou bien attendent-ils un peu avant de sortir, il est encore trop tôt pour aller chez leurs amis… et puis en ont-ils vraiment envie ? C'est drôle d'imaginer la vie des gens...

Et ces deux employés d'une entreprise… c'est le soir, ils sont fatigués, lui est sans doute plus âgé qu'elle, sa robe la met en valeur, peut-être un peu trop ? Lui ne la regarde pas, elle a une moue blasée. Il n'y a presque rien, et ce pourrait être le début d'un drame.

   

Sans doute pas tout de suite, mais au bout de quelques allers et retours entre toutes ces images, quelque chose me gêne, m'empêche finalement de trouver cela sublime…
Ce sont les femmes. Mal dessinées ? Se ressemblant toutes ? Avec des bras énormes ? Des poitrines opulentes mais improbables ?
Sur les cartes postales, elles étaient toutes petites, et semblaient magnifiques. Ici, ce n'est pas qu'elles soient moches, c'est simplement qu'elles paraissent parfois ratées. Des proportions étranges, des anatomies impossibles, des visages anguleux, chevalins, sévères… Même celle qui fait rêver, sur la première marche d'un escalier, dans sa robe blanche transparente, regardez ses bras… et le cône tronqué entre sa taille et sa poitrine… L'ensemble est très beau, mais si on se plonge dans les détails (et le fait d'avoir les tableaux face à soi le permet), c'est déstabilisant…

 

Un peu plus tard, devant un chocolat chaud à la cafétéria du grand palais, je me dis que l'amie qui m'accompagne est drôlement plus jolie que toutes ces œuvres d'art.
Voilà.
C'est tout ?
Oui, c'est tout, je le disais au début, je n'y connais rien, à la peinture. Finalement, je préfère la vie.
Alors, ça t'a pas plu ?
Si, bien sûr ! Je fais celui qui a trouvé des choses à redire sur l'Expo où tout le monde va, mais moi qui n'en vois pratiquement jamais, c'était un beau moment. Je vous la recommande, elle est prolongée, jour et nuit, début février… Voir Hopper à quatre heures du mat, ça a certainement son charme…