J'ai
changé de chemin pour arriver à l'école. Je descends
à Campo-Formio, je prends un Velib, et je passe par deux petites
rues que j'aime bien. Je ne sais pas si c'est plus court. C'est pour
éviter de changer à Place d'Italie. Et puis je n'en
ai plus que pour quinze jours. Quinze jours de classe avant les vacances.
Après, je change. J'irai dans une autre école. Quinze
jours avec mes affreux. J'ai eu des merveilles, des chéris,
des allumés, des super-gentils, cette année ce sont
des affreux. Et c'est même pas affectueux. Ils sont vraiment
affreux.
Bref. L'année prochaine, je descendrai aussi à Campo
Formio, et là je prendrai aussi un Vélib, en prenant
un autre chemin. Pour l'instant je prends la rue du Banquier en me
demandant qui était ce banquier, dont la notoriété
n'était pas suffisante pour qu'il ait laissé son nom
de famille à une rue, si petite soit-elle, mais dont la fonction
a tout de même marqué les esprits. Dans la rue du Banquier,
il y a sur la gauche en allant vers les Gobelins, une maison, ou un
ensemble de maisons assez anciennes, un peu imposantes, cossues, serrées
les unes contre les autres autour d'une petite cour ou d'une ruelle
d'accès (en passant en vélo, je ne fais que les apercevoir,
je ne distingue pas tout). Ces maisons ne devaient pas être
celles du Banquier. Plutôt celles de ses employés ? Je
n'ai pas vu d'autre demeure plus prestigieuse dans cette rue. Sans
doute la maison du Banquier a-t-elle été détruite
?
Ensuite, après un petit passage par l'avenue des Gobelins,
je me retrouve dans la rue Croulebarbe. Rien que le nom m'amuse. On
dirait le nom d'un pirate. Un pirate parisien. Un pirate qui aurait
commis ses méfaits sur la Bièvre. Un pirate de pacotille,
qui croulait sous sa barbe. Si je vous parle de cette rue, c'est qu'en
haut de cette rue, de l'herbe pousse entre les pavés.
Sous les pavés la terre ? C'est presque aussi bien que la plage.
Moi j'aime bien quand l'herbe pousse au milieu des petites routes
de campagne, et une balade en vélo sans passer par une de ces
voies vicinales, où pour se croiser il faut se mettre sur le
bas-côté, ce n'est pas vraiment une balade en vélo…
Alors vous imaginez le petit bonheur de passer chaque jour sur des
pavés parisiens, des vrais pavés qui vous secouent et
vous font perdre la graisse des fesses, et vos dents aussi, éventuellement,
des pavés disais-je, entre lesquels le vert d'une petite herbe
toute jeune pointe sa printanière ivresse.
Oui, bon, ce n'est qu'un peu d'herbe entre des cailloux taillés.
Mais c'est toujours ça.