Pour parler des camps de la mort
et de la Shoah, le cinéma a d'abord produit des documentaires
(Shoah, Nuit et brouillard…), puis s'est risqué
à la fiction, allant du mélodrame (La Rafle…)
à la comédie, ou au moins une sorte de décalage
qui montrait l'humanité au cœur de l'horreur (La
vie est belle, de Benigni). Cette zone d'intérêt
(appellation nazie pour désigner les terrains entourant Auschwitz)
aborde le sujet sans montrer une seule image de l'intérieur
du camp, ni des prisonniers. Et c'est terrifiant. Il y a cette famille
modèle : le père, la mère, les enfants. Blonds,
aryens, presque sympathiques si ce n'est quelques excès d'autorité
des parents, et des comportements des enfants parfois étranges.
On apprend très vite que le père est le commandant
du camp. La maison qu'ils occupent jouxte l'innommable. Un mur,
juste un mur les sépare de l'horreur toute proche. Peu à
peu, on entend ce qui s'y passe. Le bruit du camp. Le ronronnement
permanent des fours, les cris, les ordres. C'est lointain mais il
est impossible de l'occulter. Les seules images sont les fumées,
tout le reste n'est que présence sonore. Le film montre la
vie de cette famille (elle a véritablement existé,
ce sont les Höss) qui semble heureuse, le jardin très
bien entretenu, la piscine, les invités, les petits tracas
du quotidien. Ils pourraient être hantés par ce qui
se passe de l'autre côté du mur, ils pourraient être
perturbés par ce qu'ils entendent. Il n'en est rien. Le réalisateur
installe ce dispositif (le camp invisible, la maison, le bruit de
fond permanent) et c'est d'une efficacité monstrueuse, même
si les images, le choix du grand angle, les couleurs pastels et
froides rendent l'ensemble un peu irréel, stylisé.
Le contraste entre l'au-delà du mur et l'insouciance affichée
du "bon côté" est abominable. Il l'est d'autant
plus qu'il renvoie à quelque chose de très actuel
: la souffrance du monde, dont nous entendons parler, dont nous
voyons parfois même des images, perdues dans un flot d'informations…
Celles de Gaza, l'Ukraine, les réfugiés, les migrants
qui se noient en Méditerranée sont saucissonnées
avec le foot, les remaniements ministériels et le cancer
du roi Charles… la souffrance du monde n'est plus qu'un bruit
de fond, et nous, nous sommes comme dans ce jardin des Höss,
nous savons, c'est à côté, nous entendons les
cris comme un murmure permanent auquel nous sommes habitués.
Et tout cela est tellement humain, horriblement humain. Le film
est d'une force inouïe, il hante, il perturbe durablement.
C'est une claque monumentale.