N'est pas faussaire qui veut.
Guy Ribes est d'abord un peintre de talent, capable de reproduire
non pas une toile, mais un style, une technique, tout un catalogue
de manières de faire. Tu veux un Chagall ? Tiens, un Chagall,
avec la poussière de l'époque, et la signature plus
vraie que nature. Sauf que ça n'est pas un Chagall. C'est
un "à la manière de", comme on fait parfois
dans les écoles. Et ce faux Chagall devient un vrai, reconnu
comme tel par quelques experts dont on se demande pourquoi ils sont
tant estimés.
Le talent ne suffit pas, il faut aussi une sacrée dose de
roublardise et de connaissance du marché de l'art, pour écouler
les fausses toiles. La roublardise en question s'accompagne d'un
carnet d'adresses bien choisies : l'un pour appâter le client,
l'autre pour augmenter l'estimation de la valeur, etc.
Le personnage est truculent, le réalisateur s'efface devant
lui, le laissant prendre toute la place. Il y a fort peu de témoignages
contradictoires, et c'est donc au spectateur de faire le tri dans
tout ce que déclare le faussaire. Et si celui-ci est capable
de tromper les plus grands experts de l'histoire de l'art, il doit
l'être aussi pour s'arranger avec la réalité
de sa vie. Ce n'est donc plus seulement un documentaire, c'est aussi,
sans doute en partie, une fiction.
Du coup, l'étalage des faits est sujet à caution,
et l'homme en rajoute peut-être pour paraître plus beau,
moins riche. Et quelqu'un qui peint si bien ne peut pas être
foncièrement mauvais, non ? L'aspect le plus intéressant,
au bout du compte, n'est pas l'énorme arnaque qui fait rire
un moment mais qui se révèle assez répétitive,
cinématographiquement parlant. C'est ce qui se passe dans
l'esprit de l'acheteur potentiel, du collectionneur richissime et
berné (tant pis pour lui) à l'amateur éphémère
mais sincère qui se retrouve floué pas seulement financièrement,
mais aussi moralement. Cet acheteur qui pensait prendre possession
d'un Chagall, ne lui fait-on pas plus de mal en lui révélant
qu'il a été berné ? Guy Ribes le dit très
bien lui-même : "vous ne voulez pas de mon art, je vous
fais celui que vous désirez" (ou à peu près).
Celui qui possède un faux Picasso mais croit qu'il est vrai
est probablement bien plus heureux que celui qui apprend qu'il s'est
fait berner et obtient une compensation financière. Finalement,
Guy Ribes n'est qu'une sorte de faux monnayeur, mais qui peut procurer
du bonheur. La vérité, ici, est toujours décevante.
Heureusement que ça n'est pas le cas dans tous les domaines
(l'amour, l'amitié, et autres fariboles de la relation humaine).