C'est un petit miracle d'équilibre,
de justesse, d'intelligence, d'émotions… Dès
les premières images, on sait. Philippe Béziat a trouvé
comment filmer, monter et au final rendre compte d'un travail extraordinaire.
Dans ces répétitions, il y a les personnage principaux,
et les secondaires, comme pour une fiction. Jean-François
Sivadier est le metteur en scène, qu'on ne voit jamais en
colère, ni péremptoire, à l'écoute des
chanteurs et des autres, parlant un anglais effroyable avec les
choristes et, avec les autres et en français, exposant ses
idées comme on cherche à comprendre les enjeux des
rapports humains qui font le drame de cet opéra. Il pose
beaucoup de questions, aux chanteurs et à lui-même,
il a cet enthousiasme qui emporte, indispensable pour tout metteur
en scène, mais ne verse jamais dans l'hystérie. Parfois
dubitatif, silencieux alors, il revient avec une autre question,
c'est impossible de ne pas penser qu'il n'y a pas de plus beau métier
que celui-ci : mettre en scène les passions humaines et faire
en sorte qu'elles restent un jeu et qu'elles touchent le public.
Pas d'affèteries, pas d'extravagances inutiles dans ses indications,
toujours la recherche de la justesse, en s'interrogeant du pourquoi
et du comment de chaque réplique… "E strano…"
prend un sens inouï…
En face de lui, sous les feux et dans l'échange, Natalie
Dessay porte sur son visage les années qui passent. Elle
n'est plus la jeune soprano capable de jouer tout le répertoire…
Sa Traviata a de l'expérience et de la profondeur mais aussi
une énergie farouche. Sur la scène, elle paraît
toute petite, menue et fragile. Elle écoute, parle peu, propose
une manière de jouer, revient en arrière; elle est
toujours incroyablement juste dans son attitude, elle joue sans
donner l'impression qu'elle joue, elle est actrice, pleinement.
La chant est en elle, il paraît tellement facile qu'on oublie
que ses répliques sont des mélodies, des vocalises
virtuoses, on ne sait plus si l'émotion ressentie vient de
la pureté des notes ou de l'intensité du regard, tout
se mélange, l'opéra est un spectacle total, Natalie
Dessay en est l'incarnation.
Autour de ces deux géants (mais ô combien humains),
naviguent des personnages eux aussi filmés en plein travail,
dans l'énergie, dans l'enthousiasme, dans la recherche du
sens et de la densité, qu'ils soient chef d'orchestre, chanteurs,
instrumentistes, éclairagistes, répétitrice
au piano.
Les caméras qui filment ces instants magiques se font discrètes,
elles rendent compte, s'attardent sur un visage mais à aucun
moment ne semblent gêner ceux qui travaillent.
Le montage est basé sur une idée simple, suivre l'opéra,
de l'ouverture au final, et non pas la chronologie de la préparation
du spectacle. Cela permet de suivre l'histoire (même si elle
est archi connue) et de voir comment une même scène
évolue avec le travail.
Et puis parfois, comme pour respirer, pour permettre au spectateur
de rêver et d'imaginer lui aussi "sa" Traviata,
l'image est décalée du son. On voit les acteurs et
le metteur en scène continuer à échanger et
on entend la musique, le chant…
Petit bijou d'intelligence, ce documentaire donne du bonheur, attention,
il peut faire pleurer de joie…
Vu avec neuf mois de retard, en séance unique au Reflet
Médicis…