Amalric est un escroc, ou bien
un type qui a une chance phénoménale, ou bien encore
un génie, à moins qu’il ne soit simplement un
peu des trois… C’est quand même le seul acteur connu
qui parvient à décrocher une récompense en interprétant
un homme paralysé qui ne peut bouger qu’une paupière,
dans "le
scaphandre et le papillon". Un César pour savoir cligner
de l’œil, c’est fort, très fort (le film est
vraiment étonnant, à voir et à revoir…).
Au dernier festival de Cannes, Amalric renouvelle son petit tout de
passe-passe. Il obtient le prix de la mise en scène pour un
film où d’une part, il est de presque toutes les scènes
et donc non responsable du cadre, du rythme de la caméra, de
la capture de l'instant... et où d’autre part, les actrices
elles-mêmes ont inventé la mise en scène de leurs
"numéros". Sacré Amalric !
Qu’en est-il du film ? Inventif, radical, jouissif, exaspérant,
paresseux, fouillis, étincelant ? Etonnant, sûrement.
Profond, pas certain.
Difficile de parler d’un scénario, il s’agit d’une
errance, du quotidien observé de façon poétique
d’une troupe d’artistes américaines (américains,
pardon, il y a un homme parmi elles) en tournée épique
et totalement hors sujet pour ceux venus se rincer l’œil
devant du strip-tease classique et glauque qu’on peut voir dans
les films américains lorsque le héros a un rendez-vous
louche avec un caïd mafieux propriétaire d’un bar
à putes… On est effectivement loin, très loin
de cet univers : ici, les numéros sont drôles, jouent
sur l’autodérision mais n’oublient pas de créer
du spectacle, avec des plumes, des accessoires, une énergie
formidable et une avalanche de chairs. C’est fellinien, grotesque
et sublime en même temps.
L’absence d’une véritable histoire, avec un début,
un déroulement, une fin, est masquée par quelques enjeux
mineurs : les artistes se produiront-elles à Paris ? les enfants
de Joachim (Amalric) parviendront-ils à le considérer
comme un père ? Joachim retrouvera-t-il un de ses anciens "amis"
avec qui il n’aura pas de contentieux ?
En réalité, de tout cela on s’en balance, car
ce qui balance c’est cette ambiance de foutoir organisé
(ou pas), une impression de vie, un tourbillon que l’on quitte
à regret… parce qu’il faut bien qu’un jour
les choses s’arrêtent.
Au milieu de ce joyeux capharnaüm, brillent quelques instants
de grâce, une rencontre inattendue (la caissière de la
station essence, la seule qui accepte de baisser le son de la radio
:une très émouvante (et drôle !) "brève
rencontre" qui en reste à l’état de quelques
mots échangés), une chanson triste et douce au milieu
d’une nuit dans le hall d’un hôtel pour rassurer
des enfants et se faire du bien, un baiser sur un quai face à
la mer (c’est banal, dit comme ça, mais là non,
c’est loin d’être une comédie romantique…).
Alors, Amalric est peut-être un escroc ou un génie, c’est
égal, son film tranche sur la médiocrité ambiante,
il a du caractère, et même sans scénario il est
enthousiasmant.