Vendu comme une comédie
décalée (la "comédie allemande" du
dernier festival de Cannes, repartie bredouille, boudée finalement
par le jury, alors qu'une partie de la presse la voyait remporter
un prix prestigieux), ce film est effectivement décalé,
troublant, déstabilisant, à l'image de son personnage
principal masculin, mais il n'est absolument pas une comédie
! Il y a bien quelques moments drôles, qui déclenchent
des rires nerveux difficiles à contenir à la vision
de ces situations pathétiques. Un humour fugace plutôt
sombre ne transforme pas en comédie une œuvre au fond
très pessimiste…
C'est l'histoire d'un sauvetage, ou de la tentative de sauvetage
d'une jeune femme par son père. Sauf que la fille n'a rien
demandé, et que son géniteur s'y prend avec une méthode
particulièrement… particulière. En créant
le personnage fictif de Toni Erdmann, le père rend toutes
choses glissantes, tout peut arriver, ou pas. Le spectateur peut
trouver toute la première partie, avant l'entrée en
scène de Toni Erdmann, un peu longue, une description légèrement
fastidieuse d'un certain monde de l'entreprise qui semble peut-être
juste, peut-être aussi un peu exagérée, avec
quelques clichés et attendus. Mais la deuxième partie,
ce grand dérapage totalement incontrôlé, ne
prend son sens qu'à partir du moment où l'on a compris
le niveau de perdition de la femme dans un monde froid et cruel.
Les deux acteurs font des miracles. Lui bien sûr (Peter Simonischek),
sorte d'ours très mal léché, joue admirablement
avec la maladresse, la lourdeur feinte, le décalage perpétuel.
Une sorte de Jean Yanne tendre influencé par Godard. Improbable
et pourtant un vrai beau personnage de cinéma. Elle (Sandra
Hüller), dans un rôle finalement encore plus difficile,
un peu ingrat, porte son personnage très haut : toute la
séquence de l'anniversaire, à partir de la robe qu'elle
désenfile, est un immense bonheur…
Le film a, au final, la grande intelligence de ne pas donner de
leçon, de ne pas retourner totalement les personnages, de
laisser beaucoup de doutes et un goût d'inachevé.