Testament °

Denys Arcand

L'histoire

Dans une ère d’évolution identitaire, Jean-Michel, un célibataire de 70 ans, a perdu tous ses repères dans cette société et semble n’avoir plus grand chose à attendre de la vie. Mais voici que dans la maison de retraite où il réside, Suzanne, la directrice, est prise à partie par de jeunes manifestants qui réclament la destruction d’une fresque offensante à leurs yeux.


Avec

Rémy Girard, Sophie Lorain, Marie-Mai, Caroline Néron

Sorti

le 22 novembre 2023


La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

A vomir

 

Argh. Quand un ami de plus de quarante ans avec qui vous partagez des millions de valeurs vous conseille un film, et que celui-ci vous déplait au plus haut point, c'est surprenant ! Mais bon, c'est la vie, il n'avait pas aimé, mais alors pas aimé du tout "Le Nouveau Monde" ! ;-)
Et plus j'y repense, plus je trouve ce Testament affreux, puant, misogyne, d'une mauvaise foi effarante. Je m'explique…


Soit un homme, vieux mais pas tant, qui a choisi de passer la fin de sa vie dans une maison de retraite. Celle-ci est luxueuse, et si elle est représentative des maisons de retraite québécoises, je veux bien m'exiler. Tenue fermement mais avec douceur par une femme en apparence légèrement revêche. L'homme est un peu aigri, critique sur le monde moderne, il n'aime pas grand-chose mais reste poli avec tous, juste un peu ironique. On aimerait l'aimer. On l'aime, d'ailleurs. Il est assez sympathique, cet ours pas si grognon que ça. Il vit sa petite vie et ne gêne personne. Le point de départ de l'histoire à proprement dite, c'est une association de militants qui vient protester contre une peinture ancienne présente dans la maison de retraite qui symbolise la conquête de l'Amérique : Jacques Cartier en uniforme flamboyant saluant une poignée d'Indiens à moitié nus. Représentation offensante pour les "premières nations", d'après ces militants. A partir de là, Denys Arcand tisse un récit sans ambiguïté montrant tout ce qui l'agace dans le monde moderne : la Cancel Culture, le féminisme, le militantisme de tous bords, les transgenres, les emballements médiatiques, la société du paraître, les belles paroles qui permettent de justifier tout et n'importe quoi… Certains de ses agacements sont partagés par un grand nombre, d'autres pas, et il n'est pas du tout politiquement correct de se moquer des féministes ou des transgenres, pour ne citer qu'eux (ou qu'elles). La moquerie, la satire, l'ironie sans bienveillance, ça peut être tout à fait réjouissant. Sauf qu'ici, c'est d'une lourdeur affligeante, sans aucune subtilité. Les féministes sont toutes grosses et se comportent très mal, la transgenre est épouvantable, les militants sont bêtes à bouffer du foin, les journalistes n'y comprennent rien et cherchent le sensationnel, les femmes politiques (très peu d'hommes, comme c'est étrange, à part un secrétaire homosexuel tout droit sorti de la cage aux folles) piétinent la vérité pour se faire bien voir… Et en face, Jean-Michel, l'homme de la maison de la retraite, se rapproche de la Directrice et tous deux regardent tout cela avec un effarement poli et une condescendance extrêmement facile, au vu de tout le ridicule exposé. Et pour bien montrer que ce sont eux les gentils et tous les autres des méchants et méchantes (plus de méchantes que de méchants), il fabrique une comédie romantique dégoulinante de bons sentiments, avec retour d'une fille prodigue et attendrissement autour d'un bébé. Imparable pour s'attirer les sympathies. Nous avons en France un peu le même schéma dans les films de Dupontel. Sauf que ceux-ci sont des farces et ne cherchent pas le vraisemblable. Ils sont outrés et drôles, on est dans le registre de la comédie pure et tout passe (ou presque). Ici, dans ce testament, c'est outré aussi, bien sûr, mais on est loin de la farce, Arcand se pose en donneur de leçons et présente les choses comme le ferait n'importe quel abruti d'extrême droite : les militants ? tous des bourgeois qui n'y connaissent rien et défendent des causes comme ils enfileraient des perles ; les féministes ? toutes des moches qui ne parlent que menstrues et écriture inclusive ; l'investigation journalistique ? du vent qui brille et c'est tout… on pourrait continuer ainsi, ce n'est pas un testament, c'est une énumération misogyne, raciste, anti-jeune, réactionnaire. Dans tout cela, il y a bien quelques sources d'agacement compréhensibles, oui, la Cancel Culture est une vaste imbécillité, oui il existe un militantisme au ras du bitume, oui quelques féministes sont très lourdes, mais l'outrance du film en fait des généralités nauséabondes. A vomir.

 

Vos commentaires pour ce film

Oh le beau cocktail !
Peint avec les pinceaux larges et épais de l’outrance, le testament de Denys Arcand se révèle être une fresque toute en subtilité et en délicatesse.
Et en humour aussi, premier ingrédient. On rit franchement de temps en temps, on sourit souvent, de plein de manières différentes.
Et en mélancolie, celle des absences et du temps qui file.
Et en réflexions sur notre monde et ses complexités.
J’adore, comme j’avais adoré les invasions barbares.
C’est joli aussi Denys Arcand qui vieillit mais qui reste fidèle à ses acteurs, à ses idées et ses contradictions, à cette manière de raconter les histoires.


Thierry D. le 26 novembre 2023

 

Les films clivants ont ceci de bien qu’ils suscitent le débat, exercice toujours rafraichissant. Alors bien sûr, Testament ne fait pas dans la dentelle et il est facile de le lui reprocher. En même temps, il est encore plus facile d’objecter que ce n’est pas tant le film qui est caricatural que la réalité elle-même. Il est bien connu que les médias ne sont pas le moins du monde sensationnalistes, que les personnalités politiques ne sont pas du tout démagos, et que les poules ont des dents… Plutôt que d’user de la facilité disqualifiante que consiste à taxer le film d’extrémiste au risque d’atteindre limite un nouveau point Godwin, il suffit de regarder la réalité actuelle et de prendre un peu de recul…
Après avoir encensé le structuralisme des années 60 sous l’appellation de French theory, nos « amis » américains nous le renvoient en pleine face soixante ans plus tard, mal digéré et mal compris, sous l’appellation de wokisme. Et l’Europe, naguère moteur d’idées, semble avoir perdu toute velléité à réfléchir et est toute fière aujourd’hui de reprendre à son compte des débats de société nord-américains qui relèvent de la psychiatrie. Ainsi, elle accueille à bras ouverts une idéologie poussiéreuse, updatée selon les modes actuelles, comme un progrès social. C’est vrai qu’il est plus facile de prendre position sur l’importance des toilettes genrées sur laquelle chacun aura son avis, que sur des questions économiques qui nécessitent compétence et expertise… Dans une société post-moderne où le débat public se résume au pathos et où le logos est parent pauvre, on peut bien défendre tout et n’importe quoi…
La médiocrité des débats publics actuels fait que le wokisme a une autoroute toute tracée devant lui. Aussi, il est salvateur de voir la dénonciation du wokisme venir du continent nord-américain lui-même... Et il faudra bien dix ans avant qu’une production française ose s’aventurer sur ce terrain-là, de peur de s’attirer les foudres des "progressistes" européens. Rien que pour ça, Testament vaut (très) largement le détour.


Fabien J, le 13 janvier 2024

 

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