Tabou °

Miguel Gomes

L'histoire

Une vieille dame au fort tempérament, sa femme de ménage Cap-Verdienne et sa voisine dévouée à de bonnes causes partagent le même étage d’un immeuble à Lisbonne. Lorsque la première meurt, les deux autres prennent connaissance d’un épisode de son passé : une histoire d’amour et de crime dans une Afrique de film d’aventures.

Avec

Teresa Madruga, Laura Soveral, Ana Moreira, Carloto Cotta, Isabel Cardoso, Manuel Mesquita

Sorti

le 5 décembre 2012

La fiche allociné

 

 

La critique d'al 1

La magie du minuscule
ou le colossal ennui

 

Peut-être ai-je dû louper quelque chose, un charme caché, une poésie qui ne m'a pas touché, un état d'esprit personnel un peu trop formaté, je ne sais pas… Toujours est-il que devant "cet objet fascinant…", ce "miracle de cinéma…", cet "incroyable séisme émotionnel…", "ce film d'amour épique tout en inventions, en fulgurances…" (d'après la presse...), je me suis ennuyé terriblement et parfois même, je l'avoue, je me suis assoupi (il semble que je n'ai pas ronflé, mais ma partenaire de cinéma est quelqu'un de délicat…)
Pendant trois quarts d'heure, il est question de trois femmes, dont l'une ressemble étrangement à Martine Aubry (en moins drôle (c'est dire…)), à qui il n'arrive à peu près rien et qui dialoguent sur des considérations parfaitement inintéressantes. Il y a de quoi piquer du nez, et on peut commencer à évoquer l'idée d'un projectionniste distrait qui aurait malencontreusement échangé la copie d'un film familial expérimental avec le chef d'œuvre annoncé et attendu… Lorsque enfin (oui, je sais, ce n'est pas très correct de ma part) l'une des femmes meurt, un autre film commence et l'on se dit que ça y est, tout va changer, et le miracle va s'opérer… Il est vrai qu'à partir du moment où l'action se situe en Afrique, des décennies auparavant, il y a enfin une véritable histoire. Mais cette histoire, on la connaît, c'est l'éternel récit de la femme trop vite mariée qui va trouver l'extase dans les bras d'un autre. Et comme cela se passe en Afrique, on pense à "Out of Africa". Les couleurs, la musique, l'écran panoramique en moins. Tout semble minuscule (même le crocodile… il tient dans une main…), filmé au rabais, sans le son, sur-joué comme au temps des films muets mais pas complètement… Bien sûr, tout cela est voulu, assumé, c'est exactement cela qu'a voulu montrer le réalisateur, et il faut bien dire que cela a le mérite de l'originalité et de la créativité. Mais devant ce minimalisme, on peut rester insensible et attendre, attendre…la fin, puisque au bout d'une heure et demie de projection d'un ennui colossal, on a compris que le séisme émotionnel espéré ne viendra pas. Les réactions émues et éblouies des spectateurs autour de moi (y compris ma charmante voisine) m'indiquent que le cinéma, c'est comme Thierry D le dit, "des moments magiques, des fois ça marche, des fois pas".

 

Vos commentaires pour ce film

Eh bien moi je ne sais pas pourquoi, j’ai eu envie d’aller le voir ce film, pour une image, un son, un soupir, des regards… Je ne suis pourtant pas une cinéphile avertie, et je n’ai pas décidé d’aimer à cause de critiques parfois dithyrambiques. Mais j’avoue que lorsque mon voisin – cinéphile et critique averti, lui ! – s’est assoupi, je me suis dit qu’il devait être souffrant ou très fatigué ces temps-ci…
En effet comment s’endormir quand les images déclenchent de telles émotions ? J’ai été fascinée tout du long, happée dès le début par l’ambiance plus que par l’histoire, par la façon de montrer ce qui n’était encore pas grand-chose à dire…
C’est une histoire de femmes cette première partie, de femmes qui vivent seules, d’un vide d’hommes. Et on ne peut pas dire que la vie leur semble douce et légère. Le seul homme qui tente une approche est considéré comme un artiste raté, plutôt attentionné mais pas assez intelligent pour comprendre que les toiles qu’il s’obstine à offrir à celle qu’il convoite sont reçues comme des croûtes – pas assumées dans un premier temps, mais puisque la voisine s’en mêle ! Des croûtes qu’elle n’ose accrocher dans son salon, et qu’elle sort à l’occasion de la venue du dit artiste, mais puisqu’il ne viendra finalement pas boire le thé et déguster son incontournable gâteau à la carotte, elle les remballe vite fait !
Ces femmes sont indépendantes mais liées les unes aux autres par l’attention qu’elles se portent, avec ou sans contrat. Ces trois femmes « à qui il n'arrive à peu près rien et qui dialoguent sur des considérations parfaitement inintéressantes » vivent. Tout simplement. Et l’on ne sait encore rien de leur vie passée, et l’on ne devine que peu de choses de leur vie actuelle. Le futur est la vieillesse, la mort, très proche pour l’une d’elles. Cette vieille dame qui a connu l’opulence (elle est très drôle quand elle revêt son manteau et son bonnet de fourrure prétextant une promenade – ne sommes-nous pas en plein été ? – pour les porter au clou), cette vieille dame donc, se retrouve – pour la énième fois – au casino et est contrainte de faire appel à sa voisine pour venir la chercher, même plus de quoi se payer un taxi. Cette fois, un rêve l’a de nouveau poussé au jeu, l’inconscient ramenant au crépuscule de la vie le sang qu’elle a sur les mains…

Cette première partie est une période de latence, qui prend fin avec le décès de notre excentrique « riche » vieille qui perdait la boule, et là on la regrette un peu parce qu’elle était le petit grain de folie du trio.
Avant de mourir, elle souhaite revoir à son chevet un homme, son amant du passé qui n’aura pas le temps de la revoir vivante mais va entamer le récit de tout ce qui a été tu jusque là. Sa narration nous transporte quelques 50 ans en arrière, en Afrique, dans un monde d’hommes, de propriétaires terriens et esclavagistes où la seule femme qui y joue ce rôle se trouve être celle qui vient de mourir. Il nous faut comprendre les délires de la vieille sur le crocodile et la peur d’être persécutée pour le crime commis…
Le récit de l’amant du passé nous dépeint une femme élevée par son père, indépendante et résolument moderne. Alors… Pourquoi une femme qui a des couilles, qui chasse en savane et qui plus est ne rate jamais sa cible, reste-t-elle avec son mari puisqu’elle en aime un autre ? Les conventions ? L’enfant qu’elle porte ? Qu’a donné cette résignation ? Un mari décédé prématurément. Une fille qui ne vient quasiment jamais la voir – le Canada c’est pratique pour une mise à distance géographique.
Alors quid de « l'éternel récit de la femme trop vite mariée qui va trouver l'extase dans les bras d'un autre » ?
Out of Africa ? Non vraiment, je n’ai pas fait le rapport. Question de point de vue sans doute, d’âge aussi…
Pour moi, c’est ailleurs que ça se passe. Comment ne pas se demander ce que sera notre vieillesse et de quoi seront fait les ors passés ? Qu’adviendra-t-il de nous au moment de la solitude ? Comment vivrons-nous nos souvenirs, nous arrangerons-nous avec la réalité ?
Rien ne m’a semblé minuscule, mais tout simplement à ses justes proportions, tel un bébé crocodile… Ce film est un repos, une bulle, qui nous extrait de notre monde et parvient totalement à nous faire oublier que ce monde existe, là, aux portes du cinéma… et puisque mon voisin ne s’est pas mis à ronfler – délicate ou pas, je l’aurais pincé ! – j’avoue que je l’ai oublié lui aussi et me suis laissé entraîner… parce que j’ai trouvé ce film beau. Parce que quelque chose a raisonné en moi. Et c’est peut-être ça le plus dur à expliquer…

Karine Q, le 17 décembre 2012

 

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