C'est un film qui refuse d'entrer
dans les cases. Quelles qu'elles soient. A commencer par celles
qui cantonnent les "jeunes de banlieue" dans le rap, le
sweat à capuche, l'échec social et scolaire, la laideur
des cités et toutes ces sortes de choses, vraies peut-être,
mais qui ne sont pas l'unique vérité. Le réalisateur
s'intéresse à quelques jeunes, encore des enfants
pour certains, au seuil de l'âge adulte pour d'autres, et
le moins qu'on puisse dire, c'est qu'ils n'entrent pas dans l'idée
qu'on se fait des populations des "quartiers" (j'adore
ce terme, qu'utilisent les politiques pour éviter "banlieues
pourries" ou plus classe, "ghettos de la désespérance"
ou bien encore dans un autre registre "téci d'la môrt").
Ils sont des îlots un peu extravagants, des fleurs bien cachées,
des handicapés du verbe ou au contraire des artistes de la
parole. Ils n'ont rien de symptomatique du lieu où ils habitent
et pourtant leurs décalages, leurs singularités, leurs
couleurs en disent peut-être plus qu'un reportage avec des
intervenants choisis pour leur représentativité. Oui,
de ce qui semble être une uniformité (tout contexte
social unique a quelque chose d'uniforme, non ?) ressortent des
richesses humaines inouïes, et ce désir d'être
différent pour les uns, cette parole libérée
pour d'autres, cette difficulté à exister pour l'une,
ce rire énorme et communicatif pour l'un, ces regards interrogatifs,
dubitatifs, fiers, vivants, ils viennent tous du même endroit,
qui n'est donc pas qu'une usine à chômeurs. Que deviendront-ils
? Nul ne peut le prédire, mais il serait passionnant de savoir
dans dix ans les chemins respectifs qu'auront emprunté tous
ces jeunes.
La forme du film ne le fait pas non plus rentrer dans un genre défini.
Pas vraiment un documentaire mais pas une fiction non plus, jouant
avec des insertions étonnantes, osant la comédie musicale
ou l'anticipation sur le mode cliché, privilégiant
les longues séquences face caméra, s'autorisant des
silences, n'allant peut-être pas jusqu'au bout de sa singularité
formelle, le film se pose tout de même comme un sacré
pari, aller à contre-courant de tout et délivrer,
in fine, un message d'espoir, non l'humain n'est pas (que) désespérant.
C'est surprenant, parfois percutant, rarement ennuyeux, drôle
souvent, beau, lumineux ou sombre et réservant quelques éclairs
d'émotion. C'est donc à voir ? Oui, assurément.