Badia est une fille-crevette
(elle décortique des crevettes, c'est son taf) qui a une
tchatche incroyable, une façon de jouer avec les mots, poétique
ou directe, parfois incompréhensible… Même en
arabe, on sent bien que le scandé des mots n'est pas habituel,
que les autres personnages ne saisissent pas tout, et à vrai
dire, ça rassure qu'on ne soit pas le seul… La fille-crevette
se tortille, bouge, se lave, se relave, bouge encore, réfléchit
en parlant, bouge en continu, elle n'en finit plus de parler et
de bouger, la caméra la suit, tente d'absorber son énergie
sans toujours y parvenir. Le récit la montre avec une amie,
plus timide, et puis plus tard avec deux autres filles, pas des
crevettes, des textiles (elles pointent dans des usines de vêtements).
C'est drôlement mieux, d'être textile. Pas d'odeur qui
s'enfonce jusqu'aux os.
Badia aimerait être textile. Elle n'en peut plus, d'être
fille-crevette. Badia travaille le jour, et la nuit ? la nuit, elle
travaille encore, avec son corps, avec ses mots, avec ses mains,
avec son audace. Elle vole dans les maisons où elle est invitée.
Badia est en sursis, en équilibre tout au bord de la planche
du plongeoir. En dessous, le vide, le néant (c'est grave
de voler, dit-elle). Badia est un personnage marquant, c'est certain.
Les trois autres filles paraissent fades, un peu lisses, un peu
trop jolies peut-être, alors que Badia a une trogne de fille
drôle mais qui sourit peu, très peu. Et puis elle n'est
pas drôle, on dirait qu'elle se bat, mais contre quoi ? Le
film laisse son personnage se débrouiller, sans lui offrir
une véritable intrigue. Le dernier coup, le vol des i-phone,
est bien confus… Du coup, on peine à s'attacher vraiment.
L'émotion reste en berne. On la suit, Badia, bien sûr.
Si on peut. Parce qu'elle bouge tellement… Mais en fin de
compte, on reste un peu sur sa faim. On aurait aimé qu'elle
fasse décoller l'histoire, et nous avec.